lundi 18 novembre 2019

CE QUE JE PENSE DE LA CONTRIBUTION DES COUTUMES, CHEFERIES TRADITIONELLES ET RELIGIONS DANS LA BOUCLE DU MOUHOUN POUR LE VIVRE ENSEMBLE ET LE DEVELOPPEMENT



Du 16 au 17 novembre 2019, j’ai participé au forum régional des autorités coutumières, religieuses et leaders d’opinion sur la consolidation de la cohésion sociale dans la Boucle du Mouhoun, une des 13 régions du Burkina Faso dont je suis originaire. Cela a été l’occasion pour moi d’apprendre beaucoup avec ces illustres représentants de la société qui ne souhaitent tous que de vivre ensemble et en paix et surtout le développement en mettant en valeur toutes les potentialités que la boucle du Mouhoun a pour l’épanouissement de toute la population qui y vit et contribuer au développement du Burkina Faso.
Ici je me contenterai de rappeler tout ce qu’on m’a appris dans ma famille, dans mon village et dans plusieurs villages de cette région. Dans notre village, ce que mon père m’a dit, c’est que chaque famille mettait ses ancêtres comme intermédiaires entre elle et l’être suprême. L’objectif était à chaque fois la santé, la paix, de bonnes récoltes, la procréation et le bon voisinage. Et les hommes d’un certain âge de la famille suivaient cela scrupuleusement. La jeunesse était formée au fur et à mesure sur ces principes.
Après la famille, il y a le village, dans chaque village, il existait un chef de village qui venait souvent de la première famille qui s’y était installée ou était désigné sur un principe déterminé par le village. Au tour de ce chef de village étaient regroupés les représentants de chaque famille. Il y avait donc une collaboration qui permettait de donner une vision d’éducation et d’épanouissement dans ce village. A ce niveau, chaque village avait ses règles, ce qu’on avait le devoir de faire dans le village et ce dont on n’avait pas le droit. La préservation de l’environnement faisait partie de ces règles. Entre les villages, le mariage était un lien qui permettait de lier les villages, certaines coutumes également. C’est dans ce sens qu’il y avait la parenté à plaisanterie d’un village à l’autre ou d’une ethnie à l’autre. C’est ce qui fait que malgré quelques querelles qui existaient ils arrivaient à se faire la paix entre eux.
Il y a aussi eu les chefs de cantons, ceux-ci étaient installés par le colon pour se faire un relais dans la société et il est souvent arrivé que certains des désirs du colon ne soient pas ce que la société voulait. Mais ce qu’il y a de positif dans l’installation des chefs de cantons c’est que cela a regroupé plusieurs villages et au fur et à mesure la sagesse a pris le dessus et ces chefs de cantons sont devenus des repères qui résolvaient beaucoup de problèmes sociaux entre les villages.
Pour ce qui est des religions, musulmane et chrétienne, elles sont arrivées à des époques différentes et chaque communauté a pu constituer des groupes qui dépassaient le village, le canton et a permis d’avoir un lien international dans cette société. Chacune de ces religions prônaient la cohésion, la paix et le vivre ensemble. La particularité à ce niveau était que le mal ou le bien que l’on faisait sur terre, la grande récompense de ces actions se faisait après la mort. Si on fait le bien sur terre, on va au paradis et si on fait le mal, on va en enfer.
Je peux donc dire que la Boucle du Mouhoun a une richesse suffisante dans son passé qu’elle doit utiliser pour le bon vivre ensemble, la paix et le développement. Il y avait des terres et elles étaient fertiles, c’est pour cela qu’elle a été une région très accueillante de populations venant d’autres régions. Des cultures comme le sorgho, le mil, le coton, le maïs, l’arachide, le fonio… et l’élevage également y étaient développées. Ce qui a manqué, c’est la transformation industrielle au niveau local de ces produits, ce qui pourrait donner du travail à une bonne partie de la jeunesse scolarisée. Cela nécessite des coopératives viables pour ne pas que les agriculteurs soient trompés, ce qui faciliterait leur accompagnement. Pour cette transformation, le désenclavement serait également une nécessité   incontournable.
Pour ce qui est de l’environnement, les terres qu’on pensait inépuisables sont finies. Et comme il n’y a plus de place pour faire de nouvelles défriches, nous sommes obligés de rester plusieurs années sur les mêmes terres, ce qui appauvrit les terres. La persistance des feux de brousse contribue aussi à cet appauvrissement. Il y a donc un devoir de réhabilitation de cette fertilité. Et des techniques existent aujourd’hui dans ce sens. Cela nécessite seulement une prise de conscience avant qu’il ne soit trop tard. Si les japonais cultivent sur des montagnes et mettent de la terre sur leurs toits pour faire du maraichage, ils ne peuvent pas comprendre que nous ayons des terres et de l’eau et que nous n’utilisions pas les techniques qui existent pour augmenter nos rendements. On sait que l’augmentation des rendements, c’est l’augmentation des revenus. Je terminerai en disant que dans la Boucle du Mouhoun il y a des potentialités humaines et sociales pour le bon vivre ensemble et nous avons l’obligation de laisser cette région à nos enfants et nos petits-enfants, ce serait honteux que ce soit de la merde qu’on leur laisse. Alors que nos ancêtres selon la tradition, même après la mort se préoccupaient de nous. Les religions aussi nous obligent à éduquer nos enfants et à être utiles pour la société. J’en profite pour féliciter tous ceux ont initié l’organisation du cinquantenaire du décès de Nazi BONI sous le thème « Nazi BONI, héros national : Le défi de la pérennisation de ses œuvres ». Cet homme a montré l’exemple de fils intègre, nationaliste dont les actions ne font pas honte à sa famille. Car cela faisaient partie de notre tradition que ce grand homme exigeait. Bon vent à Boucle du Mouhoun, que Dieu bénisse le Burkina Faso.     

dimanche 3 novembre 2019

CE QUE JE PENSE DU FORUM SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES AGRICOLES (F-COOP)



J’ai été invité par l’entreprise MONT HOREB en partenariat avec l’UFR-Science Économique et Gestion de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody pour participer à la 1ère édition du forum scientifique international des sociétés coopératives agricoles (F-COOP), tenue à Abidjan du 29 au 30 octobre 2019. La méthode était que des invités étaient appeler à partager chacun une expérience réussie de coopérative agricole. Nous avons dans un premier temps écouté les expériences réussies par pays représenté. Ces expériences ont édifié toute l’assistance. Nous avions donc la preuve que les coopératives sont l’outil par excellence de développement de nos communautés et surtout dans des pays où la majorité de la population est rurale. À titre d’exemple au Maroc, une coopérative laitière a commencé avec 39 personnes et se retrouve avec plus de 4000 membres aujourd’hui, avec près de 900 véhicules de distribution et dont le chiffre d’affaire se compte à plusieurs millions de dina. Elle transforme et exporte ses produits. Cela a fortement lutté contre la pauvreté dans ces localités et a créé de l’emploie. Nous avons également senti que quand les acteurs s’organisent bien et se battent, cela facilite l’intervention de l’État et des partenaires au développement. Car il est difficile pour eux de suivre individuellement dans notre contexte, des ruraux. Nous avons également compris que les coopératives peuvent susciter la cohésion sociale. Elles peuvent même catalyser la protection de l’environnement pour les générations futures par le professionnalisme qui permet aux coopérants de réfléchir à court terme et à long terme.





Par la suite, nous avons fait un diagnostic général des coopératives dans la sous-région. Unanimement, il est ressorti que celles qui ont réussi étaient vraiment minoritaires. Malgré l’existence de loi OHADA relative aux sociétés coopératives qui oblige tout le monde à se conformer aux principes coopératives, la réalité est toute autre. Toute coopérative créée doit pouvoir résoudre les problèmes communs de ses membres. La première préoccupation d’une coopérative qui doit être l’augmentation des rendements, de la qualité des produits et des revenus du producteur, n’est pas toujours une réalité. C’est une des raisons fondamentales de la persistance de la pauvreté et de l’exode rurale. Ce constat nous a pousser à énumérer les différents problèmes récurrents qui minent ces coopératives agricoles : la mauvaise constitution de la coopérative dès le départ en mettant de côté les principes coopératives (racisme, religion, genre…), la mauvaise gouvernance qui est souvent due au mauvais choix des dirigeants, le non-respect des principes de l’économie qui prennent en compte les intérêts de tout le monde, le non-respect des principes sociaux qui mettent l’humain en valeur dans la société, l’accaparement des décisions par certains individus qui dirigent plusieurs années la coopérative au mépris des principes coopératives, l’influence négative de certains hommes politiques et partenaires, l’improvisation de certains partenaires au développement  qui suscitent la création de coopératives sans que les membres n’aient bien compris (cela pose souvent plus tard, le problème de l’appropriation), une mauvaise vision de l’avenir par une coopérative qui ne prépare pas la relève, l’insuffisance et la mauvaise orientation des appuis des États, le faible accès au crédit à taux réduit à court et à long terme, la problématique foncière. La liste n’est pas exhaustive. Nous devions donc faire des propositions d’amélioration de l’avenir de ces coopératives agricoles. À l’unanimité, nous avions tous la conviction que la porte de sorti du développement, c’est des coopératives bien gérées. Cela demande une réflexion et un accompagnement. L’engagement a été donc pris par les scientifiques et les professionnels, de continuer la réflexion et le partage d’expériences. Nous n’avons pas occulté que dans tous les pays et institutions africaines, il y’a toujours eu des initiatives. Mais la réalité est que la pauvreté persiste. Pour nous, la place existe pour les scientifiques et les professionnels que nous sommes, pour aider à influencer positivement ces coopératives agricoles. C’est l’occasion pour moi de remercier ceux qui ont réfléchis à initier et à organiser ce forum. Je remercie également les scientifiques qui se sont mis au même niveau que les professionnels sans tabou. Mes remerciements s’adressent également au ministère en charge de l’agriculture de la Côte-d’Ivoire qui s’est engagé à soutenir cette réflexion et a grandement ouvert la porte pour des échanges qui permettraient à l’Afrique de s’en sortir.

Ouagadougou, le 03 Novembre 2019

En tant que vétéran agricole

TRAORE François

Agriculteur burkinabé

Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux

samedi 2 novembre 2019

FORUM SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES AGRICOLES (F-COOP), 1ÈRE ÉDITION, ABIDJAN DU 29 AU 30 OCTOBRE 2019 : MON EXPÉRIENCE PARTAGÉE SUR LE GROUPEMENT VILLAGEOIS DE SOGODJANKOLI AU BURKINA FASO


C’est avec plaisir que je me permets de vous relater un exemple de vécu dans une coopérative dans laquelle j’étais membre. Mais avant tout, je vous informe que je suis plutôt orateur, je n’ai eu que le certificat d’études primaires (6 ans d’école correspondant au CM2). Cela me permet de parler le français mais écrire, ce n’est pas ce que je connais le mieux. Juste après le CM2, mon père a perdu la vue, et comme j’étais son premier garçon, j’ai quitté l’école pour prendre la relève à 14 ans. Cela c’était au Sénégal. Comme j’avais des frères et des sœurs, j’ai commencé depuis lors à gérer des hommes, chose qui signifie aimer tout le monde et aimer leurs intérêts tout en sachant qu’on avait notre père et notre mère à entretenir. Mais ils nous avaient tous formés à travailler dur et à être honnêtes. Ils nous avaient aussi montré l’exemple de collaboration avec les voisins qu’ils trouvaient importants dans la vie d’un homme. Nous sommes revenus au Burkina Faso du Sénégal en 1973. Après 6 ans dans mon village d’origine qui s’appelle Konkuy, province de la Kossi (Nouna) dans la Région de la Boucle du Mouhoun, j’ai migré dans un autre village à près de 150 km, Sogodjankoli dans la province des Banwa toujours dans la Boucle du Mouhoun. La raison était que du coton était cultivé dans cette zone, ce qui permettait aux paysans, après la vente, d’avoir de l’argent et d’avoir des céréales pour se nourrir.

A Sogodjankoli, après quelques années de culture de coton, nous nous sommes vus capables de créer un groupement. Car si vous êtes en groupement, vous avez une autonomie de gestion et selon la capacité des uns et des autres, vous pouvez avoir le matériel et les intrants que vous voulez. Alors que si vous n’étiez pas en groupement, c’est chacun individuellement qui faisait les démarches à plus de 20 km pour aller chercher les intrants dans un magasin géré par un agent du service public de l’agriculture. S’il doutait de vous, c’est lui qui estimait ce qu’il pouvait vous donner.  La règle au Burkina était que chaque village pouvait avoir son groupement. Mais l’activité principale des groupements était autour du coton dans cette zone. Avec la maitrise que j’avais du matériel agricole qui faisait de moi un exemple parmi eux, un bon producteur, sachant lire et écrire, j’ai été élu secrétaire général de groupement et cela en 1980. Il fallait recenser les membres et leurs besoins et les envoyer à l’agent de l’agriculture qui vous envoyait la totalité au nom du groupement. Après les récoltes, on était chargé de peser le coton nous-mêmes sur une bascule au village et pendant cette pesée, nous faisions la déduction du crédit de chacun. Le coton était évacué par des camions de la société cotonnière. Après la pesée sur leur pont bascule, la société faisait le cumule du poids total du groupement. En déduisant le crédit total de votre groupement, elle vous renvoyait l’argent. Au niveau du groupement, c’était à nous de voir la quantité de coton que chacun avait produit et mis sur le marché, déduire son crédit et lui remettre son argent. Pour avoir mené ces activités de recensement et de pesée par le groupement, à la fin de la campagne cotonnière, la société vous payait 5 000 francs par tonne de coton produit par le groupement pour l’effort fournie. En effet, dans les villages où il n’y a pas de groupements, ce sont les sociétés cotonnières et leurs agents d’agriculture qui font tous ces travaux. Or ils avaient souvent des difficultés à maitriser les performances (crédits et productions) de chaque producteur d’un village. Ils avaient donc aussi un avantage dans la création des groupements. Ils n’avaient plus affaire aux individus mais au groupements dont les membres se connaissaient tous bien.

En 1982, les membres du groupement ont trouvé en moi quelqu’un qui avait la capacité de les conduire et j’ai été élu président. Quand j’ai pris la tête de ce groupement, ma principale préoccupation était de permettre au groupement d’être toujours bien géré en prenant en compte les préoccupations de tous les membres. Les adhésions à la culture du coton ont augmenté dans le groupement, ce qui a augmenté la quantité de coton produit par le groupement de Sogodjankoli. A travers le groupement, comme chacun pouvait avoir un crédit de matériel agricole, beaucoup avaient obtenu du matériel par ce canal, certains en obtenaient même au comptant avec les revenus de leur coton. L’exigence du groupement a donc augmenté la capacité de réflexion et d’analyse des membres. La production de certains a triplé alors qu’avant le groupement, près de 90% des producteurs n’avaient que la petite daba. Comme j’avais appris dans ma famille à aimer les intérêts de tout le monde, nous avons donc fait des programmes de réunions périodiques qui nous permettaient de réfléchir au présent et au future. Comme les rémunérations données par la société cotonnière (5000 francs CFA/tonne) étaient bien gérées, nous avons décidé de construire une école primaire. Le village de Sogodjankoli n’avait ni école, ni centre de santé. La responsabilité m’a été confiée pour faire les démarches et obtenir l’autorisation. En 1990, nous avons obtenu l’autorisation et nous avons entamé la construction de cette école de 3 classes en faisant appel à un maçon que nous avons payé et la main d’œuvre non qualifiée était les membres du groupement. Cet effort physique des membres du groupement était gratuit. Nous avons seulement acheté le ciment et les matériaux de construction (tôles, ferraille, etc). Le reste des agrégats étaient fournis par nous-mêmes. Quand nous avons fini de construire cette école de 3 classes plus un magasin, nous n’avions plus assez d’argent alors qu’il fallait construire trois (03) logements pour les enseignants. Comme nous avions une terre solide dans ce village, nous avons décidé de le faire en banco tôlé. Dans ma vie, j’avais déjà été manœuvre de maçon, j’ai décidé d’être le maçon pour ces trois (03) bâtiments car avec le banco, le risque est réduit et cette fois-ci les membres du bureau étaient les manœuvres et moi le maçon. Aucun de nous n’était payé pour cela. Cela nous a coûté moins cher car il n’y avait que le matériel à payer. Comme nous tenions à l’ouverture de l’école, nous avons mis le reste de l’argent dans les table-bancs. Après vérification de tout ce que nous avons fait, l’administration publique n’a pas hésité à nous envoyer les enseignants. Après quelques années, c’est l’administration qui a elle-même complété l’école à 6 classes et a aussi construit des logements. Cela ayant donné une visibilité au village, sur notre demande, l’administration a construit un poste de santé primaire. De nos jours, dans presque toutes les familles, il y a un agent de l’administration qui est sorti de cette école. Les enfants qui n’ont pas pu continuer sont devenus la relève pour diriger le groupement villageois.

Pour conclure, je dirai que le développement dans les communautés passe forcément par les coopératives et cela dans tous les domaines. Je précise au passage qu’en 2012, les Nations unies m’ont demandé d’être membre d’une commission qu’elle ont dénommée « les ambassadeurs pour l’année des coopératives 2012 ». La mission attribuée à ses ambassadeurs selon leur expérience, consistait à véhiculer l’idéologie des coopératives comme véritable outil de développement et de lutte contre la faim aux politiques, à la société civile et aux partenaires partout où ils ont l’occasion.

Pour qu’une coopérative marche, il faut forcément un bon choix des responsables et cela doit être basé sur la qualité des hommes qui doivent prendre en compte l’intérêt de tous les membres et cela en impliquant tous les membres. Avec cette expérience, dans les années 90, nous avons redynamisé les structures de producteurs de coton du Burkina dans tous les villages, puis créé des structures intermédiaires, union départementales, provinciale. En 1998, nous avons créé l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) dont j’ai été le premier président à sa création. Cette union est devenue interlocuteur de tous les producteurs de coton pour a défense de leurs intérêts face l’Etat, la société cotonnière et les autres partenaires d’accompagnement. Et quelques années après, nous sommes devenus premiers producteurs de coton africain. Nous avons vu ici que si une coopérative est bien dirigée, il y a forcément une contagion positive. Vous pouvez aussi vous faire mieux écouter par l’administration et même d’autres partenaires à travers votre engagement.   

Merci de m’avoir associé à cette activité sur les coopératives qui constitue un sujet phare pour le développement.

Ouagadougou, le 02 Octobre 2019

En tant que vétéran agricole


TRAORE François

Agriculteur burkinabé
Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux

lundi 28 octobre 2019

CE QUE JE PENSE DE MA VISITE AVEC SAPHYTO DANS LE CHAMP DE COTON DE JACQUES A BONDOKUI



Le vendredi 25 Octobre 2019, j’ai été invité par le Directeur général de la SAPHYTO, monsieur Jonas BAYOULOU que j’ai connu il y’a longtemps dans la filière coton. C’est un monsieur qui a toujours été considéré comme un génie, qui, il y’a quelques années, est devenu DG de la SAPHYTO. L’objet était d’effectuer une mission pour aller voir l’expérimentation de deux produits qu’ils ont proposés au Président de l’union départementale des producteurs de coton de Bodonkui, Jacques SABOUE. Arrivé dans le champ, j’avais de la peine à saluer Jacques car ma vue du coton m’avait déjà troublé la tête. Du coton semé en juillet 2019, qui a grandi jusqu’à ma taille et qui a donné des capsules jusqu’à cette taille. Sur un poquet, nous avons compté 160 capsules et il était difficile de traverser le champ de coton car pour quelqu’un qui connait le coton, à cette taille, s’il produit bien, il va forcément se coucher. Les capsules s’entrecroisent et on ne peut pas traverser.  Le coton venait à peine de commencer à éclater et le cotonnier garde toujours ses capsules et ses feuilles. J’étais donc obliger de me retourner vers Jacques pour lui demander ce qu’il a fait. Il faut dire que Jacques est un professionnelle, BEPC à la poche, qui a décidé de devenir agriculteur. Il m’a donc dit que ce n’est pas un secret. Il a appliqué toute l’itinéraire technique qu’il appliquait d’habitude. En plus de cela, il a utilisé deux produits que la SAPHYTO lui a proposé. Lui en tant que leader paysan, il doit toujours être leader dans les innovations pour donner l’exemple aux autres. C’est donc un paysan heureux que j’ai rencontré, content de son exploitation et content d’être une lumière pour éclairer les autres. Je me suis par la suite, tournée vers SAPHYTO en leur posant la question « quel est ce grand secret que vous ne dévoilez pas à tout le monde ? ». Selon Jonas BAYOULOU et ses collaborateurs, ils ont longtemps réfléchi en se disant qu’ils ne doivent pas être que des commerciaux. Ils doivent être aussi des développeurs. Parmi plus d’une soixantaine de produits qui étaient à leur portée, ils ont choisi ces deux produits pour le Burkina que sont CODAMIN BMo et KARA. Ils m’ont par la suite fait la description de l’action de ces produits. CODAMIN BMo est biostimulant riche en Bore, Molybdène et en acides aminés. Son rôle est de favoriser la floraison, la fructification, la fixation des fleurs et des fruits, le maintien du plant en favorisant la résistance à la sécheresse. Il est utilisable sur toutes cultures qui fleurit. Pour ce qui est du KARA, c’est un engrais foliaire complet riche en (N, P, K), oligo-éléments (Bore, fer, zinc) et en biostimulant. Son principal rôle est de favoriser le grossissement de tout ce qui est fruit et des donc des capsules de coton.  Il améliore le nombre de grains de coton et la longueur de la fibre. Il facilite l’absorption des nutritifs.




En regardant ce champ de coton, je me garde de faire une proposition de rendement. Mais ce qui est au moins sûr, Jacques va doubler sa production. Cette technologie m’a fait comprendre pourquoi les grands pays comme les États-Unis et le Brésil peuvent faire 4 à 6 tonnes à l’hectare de coton. Selon BAYOULOU et son groupe et le Président Jacques, c’est des rendements qu’on peut atteindre au Burkina Faso. Jacques me dit qu’il a commencé la sensibilisation dans sa commune et au-delà. Pour terminer, SAPHYTO me dit que cette expérimentation a été faite chez plusieurs producteurs au Burkina qui ont eu toujours la même réaction. Dans leur vision, si les autres technologies comme le téléphone portable, WhatsApp, les véhicules, les motos sont utilisées, eux ils ne peuvent pas admettre que le producteur n’augmente pas ses rendements avec ces potentialités qui existent. J’ai été aussi rassuré que SAPHYTO a du personnel technique qui s’y connait. Ce que moi j’ai vu, éclaire l’avenir de la filière cotonnière au Burkina Faso.

En tant que vétéran agricole

Ouagadougou, le 27 Octobre 2019

TRAORE François                                       

Agriculteur burkinabé

Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux
www.francoistraore.blogspot.com

dimanche 27 octobre 2019

CE QUE JE PENSE DE L’ASSEMBLÉE DE LA CHAMBRE NATIONALE D’AGRICULTURE DU BURKINA FASO



J’ai été invité par le Président de la Chambre Nationale d’Agriculture (CNA) en tant qu’ancien dirigeant du mouvement paysan pour participer à leur assemblée ténue du 23 au 25 Octobre 2019 à Bobo Dioulasso. Cette assemblée était placée sous le haut patronage de son excellence Alassane Bala SAKANDE, Président de l’Assemblée Nationale du Burkina Faso. Je me permets de vous relater ce que j’ai pu retenir pendant cette session à ma manière. Dans le discours du président de la CNA, un beau garçon très gentil, c’est surtout sa vision qui a attiré mon attention. Pour lui, la CNA ne peut pas avec lui faire du surplace. Il souhaite que le recensement de tous les ruraux soit diligenté pour qu’ils détiennent tous une carte pour les identifier. Il souhaite aussi une cordiale attente entre les producteurs dans une sincérité. L’approvisionnement en instants agricoles et en matériel sont réellement ses soucis qui l’empêche de dormir. Il est donc engagé avec son bureau à faire leur part de travail et souhaite l’accompagnement du Gouvernement.

Le représentant du Ministre en charge de l’agriculture qui était le Directeur régional de l’agriculture et des aménagements hydro-agricoles des Hauts-Bassins, a d’abord dit que le Ministre souhaiterait bien être là, mais pour des raisons indépendantes de sa volonté, lui en tant que Directeur régional, a été chargé de rassurer tous les producteurs que le combat quotidien du ministère, c’est l’épanouissement du monde rural. Il a ajouté que le ministère sera toujours aux côtés de la CNA pour l’exécution des actions du ministère qui prennent en compte les préoccupations des producteurs.

Ce que j’ai retenu dans le discours d’ouverture de son excellence Alassane Bala SAKANDE, c’est que les ruraux sont des patriotes. Grace à eux, tout le monde mange. Les ruraux, c’est un groupe de la population qui veut toujours être utile pour la nation. Pour eux, travailler, c’est être utile. Arrêté de travailler en milieu rural est difficile à expliquer. Quand vous ne travaillez pas, vous serez obligé d’attendre douze mois pour reprendre le travail car c’est des campagnes agricoles. Pour lui, personne ne peut mesurer les conséquences d’un d’arrêt de travail de ces ruraux qui représente près de 80% de la population burkinabé. Le Président de l’Assemblée Nationale est conscient que leur préoccupation, ce n’est pas d’arrêter de travailler. Il est également conscient que beaucoup de choses manquent à ces ruraux qui pourraient faciliter leur travail et augmenter leurs revenues. Il sait que si ces conditions sont réunies pour les ruraux, on n’aura pas besoins d’importer des aliments. C’est dans ce sens que le « consommons burkinabé » est encouragé par le Président du Faso en donnant l’exemple sur le port du FASO DAN FANI. Bala SAKANDE souhaite qu’on consomme burkinabé dans toutes les cantines scolaires. Il est même revenu sur l’initiation au métier rural depuis l’école en reprenant les jardins maraichers dans les écoles. Pour terminer, le Président de l’Assemblée Nationale à proposer que le CNA prennent attache avec la commission du développement rural à l’Assemblée Nationale. Ce qui permettra d’éclairer la lanterne des parlementaires sur les besoins du moment des producteurs. Il s’est engagé à interpeller le Gouvernement chaque fois que c’est nécessaire, pour la satisfaction de ce monde rural.










Pour la suite de l’assemblée, le bureau de la CNA a fait le bilan de ses activités. Parmi lesquelles, il y’ a l’approvisionnent en intrants agricoles dans lequel ils ont eu des soucis. En plus de ça, les quantités n’étaient pas suffisantes. Du matériel agricole (tracteur) a été également mis à la disposition de certains groupes de producteurs au niveau des régions. Là aussi les producteurs ont soulevé quelques difficultés et insuffisances qui nécessitent que cette opération soit vraiment adaptée pour être utile. Moi je me rappelle que pendant les années de la révolution, le Président SANKARA dans son esprit volontariste a mis des tracteurs par province et comme c’était la toute première fois pour une initiative de ce genre au Burkina, cela ne s’est pas fait sans difficultés. C’est ainsi que plusieurs agriculteurs participants ont cité plusieurs exemples qui demandent que cette opération soit améliorée. Car si nous avons le bon bout, ça peut être continuel. Le système des Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole (CUMA) envisagé a été fortement encouragé et recommandé ; car avec les petits producteurs que nous sommes, un tracteur pour un petit groupe serait la bonne manière. Mais cela nécessite dans ce groupe une gestion professionnelle. Certains pensent même que les CUMA font partie des secrets de productivité au Benin.
En conclusion, j’ai retenu que c’est un Président de la CNA, qui avec son bureau, veulent vraiment mieux faire. Pour moi, le recensement des agriculteurs peut faciliter l’organisation par filière. A partir du moment où il y’ aurait des coopératives par filière, ces filières pourraient discuter directement avec des commerciaux et des transformateurs. Ces coopératives autonomes dans les filières doivent travailler à avoir un produit de qualité homogène ; car seules la qualité et la quantité sont leur argument de négociation. En plus, nous sommes tous des consommateurs. Tout le monde veut consommer un produit de qualité ; ce qui veut dire alors que c’est le consommateur final qui impose la qualité et la quantité. Cette rigueur dans la qualité est aussi valable pour les produits consommés au Burkina que ceux exportés comme le coton, l’anacarde, le beurre de karité, la manque, etc. Pour moi, les agriculteurs burkinabés sont de bons travailleurs. Avec une bonne organisation et un bon accompagnement, nous pouvons être les meilleurs dans tous les domaines. Que Dieu accompagne les agriculteurs du Burkina Faso.



En tant que vétéran agricole



Ouagadougou, le 26 Octobre 2019



TRAORE B. François                                       

Agriculteur burkinabé

Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux

dimanche 20 octobre 2019

CE QUE JE PENSE DE MA RENCONTRE AVEC LES FINANCIERS DE LA SOUS-RÉGION AFRICAINE QUI TRAVAILLENT AVEC LE MONDE RURAL


J'ai été invité par une grande dame que j'ai connue à la caisse populaire, Madame Aoua Sawadogo, en collaboration sa collègue américaine, à partager mon expérience dans le milieu rural sur l'apport des politiques publiques et des institutions financières dans le financement agricole. Les participants venaient des institutions financières des pays de la sous-région qui œuvrent tous dans le domaine agricole. Pour avoir pratiqué l'agriculture dans quelques pays de la sous-région Ouest africaine, en plus du fait que j'ai assumé plusieurs responsabilités dans le mouvement paysan au Burkina et en Afrique, mon constat est que chaque politique africain a investi de sa façon dans le milieu rural. C'est ainsi qu'un peu partout le matériel rudimentaire traditionnel a changé chez plusieurs producteurs. L'utilisation des intrants agricoles s’est aussi accrue, chose qui a forcément changé les rendements de certains producteurs. Et cela s'est toujours fait avec la contribution des institutions financières qui œuvrent dans le domaine agricole. Néanmoins, le constat est que c'est dans le milieu rural que la pauvreté et la famine persistent, ce qui engendre l'exode rural de la jeunesse. Dans la sous-région ouest africaine, dans chaque pays, il y a entre 70 et 80% de la population qui est rurale, tandis que les États-Unis sont à 2%. Mais nous continuons à importer des produits alimentaires.

Pourtant au niveau international, ils disent que c'est en Afrique qu'il y’ a le plus d'espace.
La solution que j'ai proposée après ce constat, c'est la réorganisation du monde paysan en coopératives crédibles pour leur permettre d'être en contact avec le marché, c'est une tâche des politiques publiques. Les institutions financières peuvent aussi contribuer à cette réorganisation. Cela nécessite une vraie organisation par filière, chose qui doit permettre d'avoir des produits homogènes de qualité appréciable. Ce qui va mettre ces structures en contact avec les commerciaux et les transformateurs, le décideur final étant le consommateur qui veut toujours acheter du produit de bonne qualité homogène. La collaboration de plus en plus rassurante avec le marché peut permettre aux structures paysannes d'aller vers les structures financières. Et l'assurance du marché rassure également le banquier à octroyer du crédit aux producteurs. Le banquier gère l'argent de quelqu'un, ce qui fait qu'il doit se rassurer que quand il donne du crédit, ce sera remboursé. À titre d'exemple, un paysan américain qui produit du maïs à lui seul peut ravitailler une région en Afrique. Il a aussi un niveau d'instruction élevé et l'État américain a contribué à cela. Ce qui lui facilite la collaboration avec toutes les institutions publiques et privées. Chaque année, il est sûr de fournir un produit de qualité recommandé. En Afrique, nous avons de petites exploitations avec près de 70 à 80% de la population qui est rurale. Ce serait très difficile à l'État et aux structures financières d'avoir affaire à chaque individu. Alors que dans une coopérative de 20 personnes, dès que vous avez 4 à 5 personnes bien éveillées dans le groupe, la formation peut permettre de stimuler la conscientisation dans ce groupe. C'est aussi vrai que nous avons eu des coopératives très mal gérées. C'est pour cela que la politique publique doit redoubler d'effort et changer de méthode car nous avons vu des accompagnateurs qui ont été complices des mauvaises gestions de ces coopératives. Tandis qu'au Canada, par exemple, ce sont les coopératives qui ont stimulé l'agriculture dans la modernisation. En conclusion, je dis qu'avec un financement et un accompagnement adapté à notre contexte, bien réfléchi, l'agriculture de la sous-région peut prendre son envol. Ce qui va lutter nécessairement contre la pauvreté et la famine. Et les politiques publiques doivent être conscients de cela.

Ouagadougou, le 20 Octobre 2019

En tant que vétéran agricole


mercredi 7 août 2019

CE QUE JE PENSE DE LA RELÈVE DANS LES FAMILLES RURALES ET DANS LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES DU MILIEU RURAL EN AFRIQUE


Quelqu’un m’a déjà posé la question de savoir ce que je pense de la relève dans nos familles rurales et dans nos organisations professionnelles. En tant que vétéran agricole, je me suis trouvé dans l’obligation de partager mon expérience dans ce qu’on m’a transmis et ce que j’ai vécu. En effet, l’agriculture et l’élevage étaient pratiquées en Afrique avant la colonisation. C’était même les métiers de la population pour se nourrir et se vêtir. Chaque grande famille pratiquait ces métiers. Mon père m’a dit que sa famille était grande et l’essentiel de la formation qu’il a reçu concernait l’agriculture. Très tôt, l’on pratiquait ce métier avec un suivi de rigueur par la famille car aucune famille n’acceptait qu’un garçon ne soit pas brave dans ce métier. Il m’a aussi dit que les femmes ne cultivaient pas chez eux, elles aidaient à semer et aussi à récolter, le reste du temps était pour s’occuper des petits enfants, récolter les noix de karité, filer le coton pour les vêtements et faire plusieurs autres travaux de femmes. Cela veut dire que les femmes aussi contribuaient dans l’éducation des enfants. Cette éducation dans l’agriculture se faisait de la même manière pour l’élevage. Il y avait souvent des cultures en commun qui était un système pratiqué dans les villages qui regroupaient tout le monde dans un champ. Chaque famille avait son tour selon ses besoins. Ce jour chacun devait démontrer la formation qu’il avait reçu de sa famille sur la cadence d’une musique. Les plus valeureux étaient loués par les griots et cela rendait les responsables de leurs familles fières. Alors, pour moi, la formation d’un agriculteur était faite par la famille et par le village. Les enfants prenaient tout de suite la relève de leurs parents car ils étaient formés pour cela. La relève était assurée. Hormis quelques aléas et phénomènes conjoncturels, les familles mangeaient à leur faim.
Il y a eu un changement après la colonisation. Il y a eu le service militaire obligatoire, il y a eu l’école, il y a même eu l’exode. Les jeunes n’étaient plus seulement formés par leurs familles et leurs villages. Ce qu’ils apprenaient n’avait pas forcément de liens avec ce que la famille leur apprenait. C’est à partir de ce moment que la relève ancestrale a commencé à avoir quelques problèmes. Pourtant, ce contact avec l’extérieur devait être un plus dans l’éveil des consciences. A mon avis, cela n’a pas été suffisamment valorisé. La conséquence a été la dislocation de certaines grandes familles et un homme pouvait se retrouver seul avec sa femme et ses enfants. C’est à ce moment que certaines femmes ont commencé à cultiver pour aider leurs maris et nourrir leurs enfants. Ceux qui ont pu tirer leçon de la formation qu’ils ont reçu dans leurs familles et qui ont pu valoriser le contact avec l’extérieur s’en sortaient. Moi j’étais fils de migrants, mon père et ma mère ont quitté le Burkina pour aller cultiver l’arachide au Sénégal. Ils avaient huit enfants dont quatre garçons et quatre filles. J’étais le premier garçon. C’est quand ils ont quitté la grande famille que ma mère a commencé à cultiver avec mon père. Cela pourrait étonner certains lecteurs mais c’est ainsi que cela s’est passé. Il m’a inscrit à l’école mais comme il avait beaucoup d’enfants, il avait des difficultés. Lui, ce qu’il avait appris c’était de toujours former ses enfants dans l’Agriculture. Et si on ne cultivait pas, lui et ma mère ne suffisaient pas pour nous nourrir sans matériel. Chacun de nous a alors commencé à cultiver dès 07 ans. Mon père avait perdu la vue et j’ai quitté la classe de CM2 quand j’avais 14 ans. Mes deux grandes sœurs étaient déjà mariées ; j’ai donc pris la relève à 14 ans avec mes petits frères car j’étais déjà formé. Mes parents étaient très rigoureux. Quand on me parle de travail des enfants aujourd’hui en me disant que dans les normes, c’est à 17 ans que les jeunes sont autorisés à exercer des travaux, dans notre famille, nous n’avions pas eu ce choix et beaucoup de familles africaines sont toujours dans cette situation, soit ils travaillent soit ils meurent de faim. Moi je n’ai pas regretté le contact avec l’extérieur ni le fait d’avoir été à l’école en plus de la formation que mon père m’a donné. J’ai pu cultiver avec mes frères et ramener quelques années après, la famille au Burkina Faso. L’agriculture me nourrit toujours. Je devais aussi mettre en valeur la leçon que mon père m’a donné, celle d’apprendre à cultiver à mes enfants. Aujourd’hui ce sont eux qui m’ont relevé avec la chance de pouvoir travailler avec des tracteurs que moi je n’ai pas eu à ma jeunesse. Je continue toujours à les suivre et à leur donner des conseils. Des familles ont réussi cette relève mais les difficultés citées plus haut ont toujours leur impact dans plusieurs familles.  
Quant à mon expérience en matière d’organisation paysanne, le fait que j’ai géré très tôt une famille m’avais initié dans la gestion des hommes. Après quelques années dans le village de mon père, j’ai migré dans un autre village ; là-bas, j’ai été président de groupements villageois depuis 1982. Ces regroupements permettaient des échanges qui enrichissaient en expériences les uns et les autres. Cela créait une cohésion qui nous donnait une crédibilité vis-à-vis des partenaires. Le secteur essentiel qui nous rassemblait était celui du coton. On avait donc comme partenaires, la société cotonnière et les banques. Le groupement nous permettait d’avoir des intrants et même du matériel agricole à crédit. Notre crédibilité permettait un remboursement chaque fois à 100% et l’amélioration de nos revenus. Cela a développé des familles et même le village car chacun avait accès au crédit qu’il voulait grâce à la caution du groupement. La société cotonnière nous reversait quelques ristournes qui appartenaient au groupement. Dans la cohésion, nous avons décidé de construire une école primaire dans le village avec cet argent. De nos jours, cette école a 29 ans et chaque famille a au moins un ou deux cadres administratifs sinon plus qui sont sortis de cette école. L’exemplarité de la gestion de groupement nous a obligé à initier très tôt des jeunes sortis de notre école et qui sont restés dans l’agriculture qui gèrent toujours correctement le groupement. J’ai été par la suite président de plusieurs structures au Burkina et au niveau international. La notion qu’on m’avait donnée dans mon éducation était de respecter le bien commun car le non-respect du bien commun déshonorait la famille. Dans ces structures, nous avons commencé à travailler avec des partenaires (Etats, ONG et autres), certains nous venaient souvent en appui financier et en formation. Chose qui devait être forcément favorable et nous propulser vers l’atteinte de nos objectifs. Cela a quand même créé quelques difficultés que j’ai constatées dans la relève de plusieurs organisations. La corrélation entre les appuis financiers et les formations n’a pas toujours permis à ce que certains leaders pensent à la relève. Sans oublier que dans certaines organisations, les formations reçus ne permettaient pas une bonne gestion des hommes et des finances. Pour conclure, je pense que, pour la relève dans les familles, les gouvernements africains doivent avoir une philosophie de développement qui prend en compte les expériences ancestrales et les expériences modernes en y mettant la rigueur et la discipline pour accompagner le monde rural. C’est là que l’intérêt des organisations paysannes crédibles se fait sentir car on ne trouvera jamais un agent d’agriculture ou d’élevage pour chaque producteur mais les paysans sont mieux placés quand ils sont bien organisés pour s’auto-discipliner et se partager les bonnes expériences. Dans le cas du Burkina, nous agriculteurs, nous sommes plus de 80% de la population. Si quelques individus sont riches et d’autres pauvres, cela ne nous met pas en sécurité. Un monde paysan bien organisé, travail pourtant possible, peut permettre un partenariat fertile et durable entre les organisations paysannes, l’Etat et les partenaires. C’est dans cette orientation que les partenaires au développement peuvent les accompagner sur leur vision. Et dans mon expérience dans le monde entier, chaque pays est passé par là. A titre d’exemple au Canada, c’est l’organisation du monde paysan qui fait la puissance agricole du pays. Le domaine agricole est un des domaines où le mensonge ne peut pas se cacher. L’action qui n’est pas bien menée a obligatoirement des conséquences. Sinon on ne comprendrait pas que nos ancêtres arrivaient à se nourrir et que dans ce monde moderne nous ne puissions pas le faire. Et si l’agriculture n’est pas à un niveau de développement donné c’est qu’à différents niveaux, la relève n’a pas été parfaitement au rendez-vous.   
Ouagadougou, le 07 août 2019
En tant que vétéran agricole
TRAORE B. François                                       
Agriculteur burkinabé
Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux