jeudi 26 janvier 2017

CE QUE JE PENSE DES COMMUNES RURALES POUR LE DEVELOPPEMENT DANS LE MILIEU RURAL

Le Burkina Faso a près de 80% de sa population qui est rurale. Ces ruraux ont comme métiers : l’agriculture, l’élevage, l’artisanat et autres. Ils ont besoin d’accompagnement de l’Etat pour devenir des professionnels et être de véritables acteurs économiques. Cet accompagnement de l’Etat ne peut se faire que si on sait qui fait quoi réellement, dans quelles conditions ? Au stade actuel, ce ne sont que les producteurs de coton qui sont connus.  Leurs surfaces cultivées par an individuellement sont connues au niveau des groupements de producteurs de coton (GPC). Ceux qui font les autres cultures ne sont pas du tout répertoriés par acteur dans les villages et dans les communes. Ce qui rend très difficile leur accompagnement. On pourrait me dire que c’est dans les structures professionnelles qu’on devrait savoir qui fait quoi alors que de nos jours, près 50% de ces acteurs ruraux ne sont pas dans des structures professionnelles. Pour ceux qui sont dans les structures, rares parmi celles qui se disent professionnelles, sont capables de donner les surfaces exactes cultivées dans chaque domaine par personne. Les chambres d’agriculture ont été créées mais à mon avis, leur fonctionnement n’est senti qu’au niveau régional. Dans les communes, les représentants de ces chambres se connaissent à peine et ne peuvent donc pas fournir l’état des cultures emblavées dans leurs localités.

La décentralisation qui est une bonne initiative doit avoir comme pilier de développement, les activités qu’exerce la population. Nous sentons un effort de l’Etat à mettre quelques moyens à la disposition des communes. À mon avis, cela est une bonne chose mais pour ce qui est du développement de la population, elle ne peut venir que des activités menées par celle-ci. Nous savons également que dans chaque village, il y a au moins deux (02) conseillés qui ont l’obligation de participer aux sessions communales au moins une fois par mois. Nous savons aussi qu’une commune dont l’économie ne prospère pas ne peut pas faire véritablement des recettes. Tout cela fait que la commune doit être préoccupée par son économie. Dans cette dynamique, je proposerais que la commune réfléchisse à comment recenser ses acteurs afin d’être capable de connaitre la superficie emblavée, les spéculations (mil, maïs, sésame, arachide, etc.) et la production réalisée par chaque producteur au cours de chaque campagne agricole. Pour y arriver, une bonne réflexion dans chaque village peut permettre aux conseillers de conduire ce travail et par la suite une centralisation pourrait se faire dans la commune. Et ce travail pour une première fois peut commencer du mois d’aout à septembre, à cette période, tous les champs sont effectivement emblavés et on aura beaucoup de chance de ne pas se tromper sur les surfaces. Comme ça, nous pouvons avoir la chance de prendre en compte tous les acteurs qui vivent dans un village et savoir ce qu’ils ont produit. Ces vraies statistiques peuvent non seulement faciliter mais aussi renforcer la structuration professionnelle et l’accompagnement des différents acteurs, très souvent, des partenaires ONG ont besoin de ces statistiques mais ils ont du mal à les avoir par commune et par village. De nos jours, l’esprit de développement doit également être basé sur les réalités et les potentialités de chaque région. Une raison de plus pour créer la cohésion du développement dans les villages.

Il n’y a pas de développement sans innovation. C’est la routine qui bloque souvent le développement dans nos pays africains. L’habitude face à une innovation, c’est de dire « on n’a jamais vu cela », « cela va être très difficile » ou alors « cela va nous coûter trop cher »,  se tabler sur la cherté d’une innovation pour ne pas faire face au problème réel, est synonyme d’une vision et d’une réflexion infécondes. Souvent, sous nos cieux, une innovation créée même des conflits.  Par exemple, quand nous avons à l’époque voulu créer les GPC, certains partenaires avaient dit qu’on allait « casser le tissu social » dans les villages. Pourtant au finish, l’histoire nous a donné raison car cette structuration a facilité l’accompagnement et a boosté la filière coton. Je crois donc que pour que toutes les filières se développent, il faut absolument un répertoire de base dans tous les villages qu’on centralisera dans chaque commune. De toutes les façons, je ne connais aucun pays qui ait pu faire le développement sans connaitre ses acteurs et la meilleure façon de connaitre ses acteurs, c’est à partir du village et de la commune. Mon analyse peut être améliorée mais je crois bien en celle-ci.  
  En tant que Agriculteur burkinabé
Ouagadougou, le 26 janvier  2017

TRAORE B. François,

Agriculteur Burkinabé

dimanche 15 janvier 2017

CE QUE JE PENSE DE LA FILIERE COTON AU BURKINA FASO

Dans l’histoire traditionnelle du Burkina Faso, chaque village avait ses règles. Le suivi de la mise en œuvre de ces lois étaient assuré par les sages du village et les promotions des générations dans le but d’assurer le bon-vivre ensemble au village. Celui qui violait la loi était jugé et sanctionné selon la faute qu’il avait commise. Le bon-vivre ensemble dans ces villages dépendait de la bonne application de ces règles. Au Burkina moderne, une loi pour règlementer la circulation dans les villes et sur les routes a été créée. Pour s’assurer que ce code de la route soit bien respecté, l’Etat burkinabé a une brigade et une police routière qui surveillent permanemment son application et cela réduit énormément les accidents de circulation. Dans le domaine du développement rural, les agro-sylvo-pasteurs burkinabé ont également une loi qui les permet de se mettre ensemble en groupements, en coopératives, en unions ou même en associations pour résoudre des questions auxquelles ils ne peuvent pas faire face individuellement (création d’organisation paysannes). Dans cette loi, ils doivent choisir de bons leaders pour les diriger.

            L’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) créée en avril 1998, fait partie de ces organisations. Le coton est une des rares filières dans laquelle les agriculteurs se sont organisés de la base, (groupement des producteurs de coton (GPC) au niveau village, UDPC dans les départements, UPPC dans les provinces) jusqu’au niveau national. Elle a été soutenue et encouragée par l’Etat et des partenaires dans cette organisation. Cela lui a permis d’être le vrai interlocuteur de son partenaire société cotonnière (SOFITEX) à l’époque dirigée par M. Célestin TIENDREBÉOGO. À sa nomination, il y avait au total six (06) usines d’égrenage du coton. Nous avons donc entamé une collaboration qui n’existait pas. Cette collaboration a porté fruit. En effet, nous sommes partis de 11ème producteur de coton à 1er producteur de coton africain avec une production de 730 000 tonnes. L’augmentation de la production a permis à la société cotonnière d’augmenter le nombre des usines d’égrenage du coton fibre. La société est partie donc de 6 usines à 22 usines, y compris les usines de délintage. Les huileries sont parties de trois (03) usines à plus de la cinquantaine, constituées de petites, de moyennes et de grandes usines car sur 730 000 tonnes de coton-graine égrené, il y a près de 370 000 tonnes de graines ; il faut se dire que les graines constituent un pourcentage d’environ 52% sur le coton après égrenage ; ce qui a créé de la matière première pour les usines d’huilerie qui produisent de l’huile de consommation et des tourteaux  servant d’aliment-bétail.

Dans le milieu paysan, tout le monde sait que la valeur 116 000 tonnes de coton et celle 730 000 tonnes ne sont pas les mêmes. Dans la bonne collaboration avec la SOFITEX, le nombre de producteurs a augmenté ainsi que leur revenu. Plus de 03 millions de personnes vivant dans le milieu rural ont donc vu leurs revenus augmenter. Il faut se dire aussi que toutes les céréales produites au Burkina sont produites à plus de la moitié par les producteurs de coton. Ce sont principalement le maïs et le sorgho. Cela a réellement créé des emplois et contribué fortement à maintenir la jeunesse dans les villages. Les emplois créés qu’ils soient directs ou indirects valent par usine plus de 1000, ce qui dans le cumule peut aller à plus de 20 000 emplois. Les transporteurs du coton et les commerçants ont aussi eu leur part qu’on a du mal à estimer. Le pouvoir d’achat des cotonculteurs ayant évolué, ils s’achètent désormais auprès des commerçants des tôles, du ciment, des motos, … pour ne citer que ceux-ci.

A mon avis, la voie de la création d’emplois n’est que ce cheminement.  Les secrets sont la bonne collaboration et la discipline en appliquant réellement les règles et en bannissant le mensonge car l’Agriculture est un secteur qui expose très rapidement le mensonge : on  récolte ce qu’on a semé. J’ai toujours dit que toutes les filières agricoles au Burkina peuvent et doivent être organisées car le riz importé, la farine de blé pour le pain, le maïs pour la bière, le lait etc. viennent au Burkina parce qu’il y a le besoin de consommation, le marché existe. C’est cette place que les plus de 80% de ruraux burkinabé doivent récupérer pour la création des emplois et pour cela l’Etat burkinabé a un grand rôle d’accompagnement à jouer. Cela ne se fera pas seulement avec les conférenciers « professionnels » qui prétendent « connaitre » mais qui ne peuvent pas citer un exemple de réussi. Les techniciens et les chercheurs doivent plutôt renforcer leur collaboration avec les pratiquants sur le terrain. En tout cas ceux qui nous envoi ces denrées alimentaires, c’est sur le terrain qu’ils ont travaillé pour les produire. Il y a des « savants » qui disent que nous ne devons pas cultiver des produits à exporter comme le coton. Je ne suis pas du tout de leur avis. Je ne suis pas un savant mais je n’ai pas non plus besoin d’être un expert en économie pour savoir que si les camions doivent quitter le Burkina vides pour aller chercher les produits consommables au port et les amener au Burkina, on ne pourra jamais se développer. Je suis pour qu’on produise tout ce qui est adapté à nos terres, les transformer si possible pour nous auto-suffire ne serait-ce que dans le domaine de l’alimentation et avoir de la matière à exporter pour que nos camions ne quittent pas le Burkina en étant vides.

La filière coton au Burkina vit actuellement une crise de management. Je parle en tant qu’ancien Président de l’Union Nationales des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) d’avril 1998 au 5 janvier 2010, produisant le coton depuis 1970. L’idée de chercher à redevenir Président dans cette structure est loin de moi; ma dignité ne me le permet pas car j’ai démissionné à l’époque. Mais en tant que vétéran de la filière, ayant une grande famille agricultrice et étant nationaliste, je ne peux pas me taire sur ce que je vois et ce que j’entends. Ce serait une trahison de ma part. La mauvaise gestion financière du désormais défunt conseil de gestion de l’UNPCB qui m’avait succédé, a été exposée pendant plus de 02 ans notamment depuis 2014. Même ceux qui ne sont pas de la filière ont eu assez de preuves pour se faire une idée de cette mauvaise gestion sauf ceux qui refusaient de voir. Une des preuves est que la majorité des partenaires de l’UNPCB ont quitté la structure. Certains partenaires ont mêmes eu à retirer le reste de leurs financements. A un moment donné, l’UNPCB avait près de 280 agents pour accompagner les structures (GPC, UDPC, UPPC) dans la bonne gestion. Malheureusement, sur le chenin, le rôle de ces agents a été carrément dévié et c’est le contraire que la plus part de ces agents fait car le défunt conseil n’appréciait que les techniciens qui aidaient à camoufler la mauvaise gestion. De nos jours, la confiance s’est effritée entre les structures faitières et la base. La collaboration entre les sociétés cotonnières et l’UNPCB n’est plus saine et cela est en train de générer des conséquences graves pour la filière coton. Je me contenterai de citer quelques indices.

 Au lancement de la campagne agricole 2016-2017, l’interprofession  cotonnière avait prévu la production de 800 000 tonnes ; les résultats prévisionnels de la campagne  du ministère de l’agriculture indiquent les chiffres de 752 490 hectares pour une production de plus de 900 000 tonnes. Dans le mois d’octobre, le secrétaire de l’interprofession a donné le chiffre de 730 000 hectares ; tout récemment, le Directeur Général (DG) de la SOFITEX vient de constater la production de la SOFITEX à la baisse. Selon lui, la production attendue de SOFITEX sera 555 000 tonnes. Moi, en tant que connaisseur de cette zone cotonnière, selon mes informations, SOFITEX aura moins que cela car les rendements ont baissé drastiquement. Les problèmes cités par les producteurs qui expliquent cette baisse, lors des forums de début de campagne, sont l’arrêt brusque des semences OGM, la mauvaise organisation de la campagne par la société, l’arrivée tardive des pesticides et leur qualité douteuse. Quant au problème de la pluviométrie cité par le DG de la SOFITEX, les producteurs disent que c’est pour cela qu’ils aimaient les OGM car même semé tard, ceux-ci donnaient vite et bien.

Le 13 janvier 2017, j’ai écouté le Ministre de l’agriculture qui disait que le Burkina va avoir 750 000 tonnes de coton à moins que je n’aie pas bien entendu. En écoutant le DG de la SOFITEX qui parlait de 555 000 tonnes, si le Ministre maintien son chiffre 750 000 tonnes, cela veut dire que SOCOMA et FASO COTON vont produire près de 200 000 tonnes pour que le cumule avec SOFITEX fasse 750 000 tonnes. Or dans l’histoire de ces deux sociétés, elles n’ont jamais pu produire cette quantité. Sur le terrain dans toutes les zones cotonnières, rares sont les paysans qui ont atteint leur surface de la campagne passée. On peut donc affirmer avec certitude qu’on produira moins que la campagne passée vues les difficultés mentionnées précédemment et les sociétés cotonnières le savent très bien actuellement. Cette cacophonie dans les chiffres ne rend pas confiants les financiers qui sont aussi à l’écoute du terrain. Il y a même des huileries qui commencent à se plaindre parce que la graine n’est pas au rendez-vous. Cela n’a jamais été ainsi dans les autres années à pareil moment. Par ailleurs, l’endettement dans les GPC va s’aggraver (beaucoup ne pourront pas rembourser leur crédit). Je conclu que la situation est assez grave.

Le lundi 9 janvier 2017, le Gouvernement burkinabé a installé un administrateur au sein de l’UNPCB pour chercher à résoudre le différend entre les dénonciateurs de la mauvaise gestion et l’ancien conseil de gestion, avec la supervision d’un représentant de chacun des 02 camps. J’encourage le Ministère dans ce sens car c’est son devoir policier dans le domaine des organisations paysannes. J’encourage également la vigilance de l’administrateur pour installer dès maintenant l’idée de la bonne gestion car ce n’est pas du jour au lendemain que la mauvaise gestion va se ranger. Je ne souhaite pas que cet administrateur soit badigeonné. Je souhaite qu’il s’en sorte honorablement. Dans le renouvellement de l’UNPCB, mon souhait est qu’il y ait de vrais producteurs crédibles à la tête des structures. Cela va relancer la production cotonnière et peut également servir comme une bonne expérience pour les autres filières. Quant à la gestion de la SOFITEX, je demande au Gouvernement burkinabé d’être très vigilant sinon il ne verra que des surprises dans cette société. Le Gouvernement doit avoir « l’œil sans déchets » sur la filière coton car elle est le nombril de l’économie dans le milieu où il est produit. Que Dieu accompagne le Gouvernement burkinabé pour le développement du milieu rural.    

En tant que vétéran de la filière cotonnière

Ouagadougou, le 15 janvier  2017

TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,
www.francoistraore.blogspot.com