samedi 2 novembre 2019

FORUM SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES AGRICOLES (F-COOP), 1ÈRE ÉDITION, ABIDJAN DU 29 AU 30 OCTOBRE 2019 : MON EXPÉRIENCE PARTAGÉE SUR LE GROUPEMENT VILLAGEOIS DE SOGODJANKOLI AU BURKINA FASO


C’est avec plaisir que je me permets de vous relater un exemple de vécu dans une coopérative dans laquelle j’étais membre. Mais avant tout, je vous informe que je suis plutôt orateur, je n’ai eu que le certificat d’études primaires (6 ans d’école correspondant au CM2). Cela me permet de parler le français mais écrire, ce n’est pas ce que je connais le mieux. Juste après le CM2, mon père a perdu la vue, et comme j’étais son premier garçon, j’ai quitté l’école pour prendre la relève à 14 ans. Cela c’était au Sénégal. Comme j’avais des frères et des sœurs, j’ai commencé depuis lors à gérer des hommes, chose qui signifie aimer tout le monde et aimer leurs intérêts tout en sachant qu’on avait notre père et notre mère à entretenir. Mais ils nous avaient tous formés à travailler dur et à être honnêtes. Ils nous avaient aussi montré l’exemple de collaboration avec les voisins qu’ils trouvaient importants dans la vie d’un homme. Nous sommes revenus au Burkina Faso du Sénégal en 1973. Après 6 ans dans mon village d’origine qui s’appelle Konkuy, province de la Kossi (Nouna) dans la Région de la Boucle du Mouhoun, j’ai migré dans un autre village à près de 150 km, Sogodjankoli dans la province des Banwa toujours dans la Boucle du Mouhoun. La raison était que du coton était cultivé dans cette zone, ce qui permettait aux paysans, après la vente, d’avoir de l’argent et d’avoir des céréales pour se nourrir.

A Sogodjankoli, après quelques années de culture de coton, nous nous sommes vus capables de créer un groupement. Car si vous êtes en groupement, vous avez une autonomie de gestion et selon la capacité des uns et des autres, vous pouvez avoir le matériel et les intrants que vous voulez. Alors que si vous n’étiez pas en groupement, c’est chacun individuellement qui faisait les démarches à plus de 20 km pour aller chercher les intrants dans un magasin géré par un agent du service public de l’agriculture. S’il doutait de vous, c’est lui qui estimait ce qu’il pouvait vous donner.  La règle au Burkina était que chaque village pouvait avoir son groupement. Mais l’activité principale des groupements était autour du coton dans cette zone. Avec la maitrise que j’avais du matériel agricole qui faisait de moi un exemple parmi eux, un bon producteur, sachant lire et écrire, j’ai été élu secrétaire général de groupement et cela en 1980. Il fallait recenser les membres et leurs besoins et les envoyer à l’agent de l’agriculture qui vous envoyait la totalité au nom du groupement. Après les récoltes, on était chargé de peser le coton nous-mêmes sur une bascule au village et pendant cette pesée, nous faisions la déduction du crédit de chacun. Le coton était évacué par des camions de la société cotonnière. Après la pesée sur leur pont bascule, la société faisait le cumule du poids total du groupement. En déduisant le crédit total de votre groupement, elle vous renvoyait l’argent. Au niveau du groupement, c’était à nous de voir la quantité de coton que chacun avait produit et mis sur le marché, déduire son crédit et lui remettre son argent. Pour avoir mené ces activités de recensement et de pesée par le groupement, à la fin de la campagne cotonnière, la société vous payait 5 000 francs par tonne de coton produit par le groupement pour l’effort fournie. En effet, dans les villages où il n’y a pas de groupements, ce sont les sociétés cotonnières et leurs agents d’agriculture qui font tous ces travaux. Or ils avaient souvent des difficultés à maitriser les performances (crédits et productions) de chaque producteur d’un village. Ils avaient donc aussi un avantage dans la création des groupements. Ils n’avaient plus affaire aux individus mais au groupements dont les membres se connaissaient tous bien.

En 1982, les membres du groupement ont trouvé en moi quelqu’un qui avait la capacité de les conduire et j’ai été élu président. Quand j’ai pris la tête de ce groupement, ma principale préoccupation était de permettre au groupement d’être toujours bien géré en prenant en compte les préoccupations de tous les membres. Les adhésions à la culture du coton ont augmenté dans le groupement, ce qui a augmenté la quantité de coton produit par le groupement de Sogodjankoli. A travers le groupement, comme chacun pouvait avoir un crédit de matériel agricole, beaucoup avaient obtenu du matériel par ce canal, certains en obtenaient même au comptant avec les revenus de leur coton. L’exigence du groupement a donc augmenté la capacité de réflexion et d’analyse des membres. La production de certains a triplé alors qu’avant le groupement, près de 90% des producteurs n’avaient que la petite daba. Comme j’avais appris dans ma famille à aimer les intérêts de tout le monde, nous avons donc fait des programmes de réunions périodiques qui nous permettaient de réfléchir au présent et au future. Comme les rémunérations données par la société cotonnière (5000 francs CFA/tonne) étaient bien gérées, nous avons décidé de construire une école primaire. Le village de Sogodjankoli n’avait ni école, ni centre de santé. La responsabilité m’a été confiée pour faire les démarches et obtenir l’autorisation. En 1990, nous avons obtenu l’autorisation et nous avons entamé la construction de cette école de 3 classes en faisant appel à un maçon que nous avons payé et la main d’œuvre non qualifiée était les membres du groupement. Cet effort physique des membres du groupement était gratuit. Nous avons seulement acheté le ciment et les matériaux de construction (tôles, ferraille, etc). Le reste des agrégats étaient fournis par nous-mêmes. Quand nous avons fini de construire cette école de 3 classes plus un magasin, nous n’avions plus assez d’argent alors qu’il fallait construire trois (03) logements pour les enseignants. Comme nous avions une terre solide dans ce village, nous avons décidé de le faire en banco tôlé. Dans ma vie, j’avais déjà été manœuvre de maçon, j’ai décidé d’être le maçon pour ces trois (03) bâtiments car avec le banco, le risque est réduit et cette fois-ci les membres du bureau étaient les manœuvres et moi le maçon. Aucun de nous n’était payé pour cela. Cela nous a coûté moins cher car il n’y avait que le matériel à payer. Comme nous tenions à l’ouverture de l’école, nous avons mis le reste de l’argent dans les table-bancs. Après vérification de tout ce que nous avons fait, l’administration publique n’a pas hésité à nous envoyer les enseignants. Après quelques années, c’est l’administration qui a elle-même complété l’école à 6 classes et a aussi construit des logements. Cela ayant donné une visibilité au village, sur notre demande, l’administration a construit un poste de santé primaire. De nos jours, dans presque toutes les familles, il y a un agent de l’administration qui est sorti de cette école. Les enfants qui n’ont pas pu continuer sont devenus la relève pour diriger le groupement villageois.

Pour conclure, je dirai que le développement dans les communautés passe forcément par les coopératives et cela dans tous les domaines. Je précise au passage qu’en 2012, les Nations unies m’ont demandé d’être membre d’une commission qu’elle ont dénommée « les ambassadeurs pour l’année des coopératives 2012 ». La mission attribuée à ses ambassadeurs selon leur expérience, consistait à véhiculer l’idéologie des coopératives comme véritable outil de développement et de lutte contre la faim aux politiques, à la société civile et aux partenaires partout où ils ont l’occasion.

Pour qu’une coopérative marche, il faut forcément un bon choix des responsables et cela doit être basé sur la qualité des hommes qui doivent prendre en compte l’intérêt de tous les membres et cela en impliquant tous les membres. Avec cette expérience, dans les années 90, nous avons redynamisé les structures de producteurs de coton du Burkina dans tous les villages, puis créé des structures intermédiaires, union départementales, provinciale. En 1998, nous avons créé l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) dont j’ai été le premier président à sa création. Cette union est devenue interlocuteur de tous les producteurs de coton pour a défense de leurs intérêts face l’Etat, la société cotonnière et les autres partenaires d’accompagnement. Et quelques années après, nous sommes devenus premiers producteurs de coton africain. Nous avons vu ici que si une coopérative est bien dirigée, il y a forcément une contagion positive. Vous pouvez aussi vous faire mieux écouter par l’administration et même d’autres partenaires à travers votre engagement.   

Merci de m’avoir associé à cette activité sur les coopératives qui constitue un sujet phare pour le développement.

Ouagadougou, le 02 Octobre 2019

En tant que vétéran agricole


TRAORE François

Agriculteur burkinabé
Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux

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