mercredi 31 mai 2017

CE QUE JE PENSE DE LA VISITE D’UNE STRUCTURE PAYSANNE BENINOISE A SA STRUCTURE PAYSANNE SŒUR A DEDOUGOU AU BURKINA FASO



      
            Du 23 au 26 mai 2017, l’Union des Sociétés Coopératives de Commercialisation des Produits Agricoles (USCCPA/Dédougou) a reçu la visite de l’Union des Groupements des Agriculteurs Mowossokpo (UGAM), une organisation professionnelle agricole à vocation coopérative ayant son siège dans la commune de Savalou précisément à Miniki dans l’arrondissement de Kpataba, au Bénin. Pour mémoire, en application de la loi OHADA relative aux sociétés coopératives,  l'Union des Groupements de Commercialisation des Produits Agricoles (UGCPA) s'est restructurée en USCCPA en 2016. La délégation béninoise a été reçue par le président DOMBOUE Laurent et son bureau de conseil. L’objectif de la mission selon les béninois, était de venir s’imprégner des 24 ans d’expériences de commercialisation collective des produits agricoles (céréales, bissape…), du système de crédit et de l’approvisionnement en intrants. Il faut dire que les deux organisations ont un partenaire commun qui est l’UPA/DI, une structure paysanne canadienne. Les paysans canadiens ont eu la conviction que c’est ensemble que les paysans peuvent partager et gagner mieux pour nourrir les hommes. En rappel, les paysans canadiens sont venus vers les paysans de la Région de la Boucle du Mouhoun il y a 24 ans, pour encourager cette démarche. Ils ont eu la même démarche avec les paysans béninois et l’idée actuelle est de susciter les échanges entre paysans africains qui sont dans un même contexte pour qu’il y ait un effet d’entrainement. Ce qui fera grandir la toile d’araignée.
              Dans les échanges entre les paysans béninois et burkinabés, plusieurs questions ont été abordées, ce sont entre autre :
-          comment l’USCCPA a su gérer la discipline en son sein ?
-          comment l’USCCPA a pu assurer son autonomie ?
-          quelles sont les différentes étapes de la commercialisation ?
-          comment l’USCCPA a su intégrer les femmes dans l’union ?
-          comment l’USCCPA en faisant du crédit arrive à se faire rembourser ?
-          quels sont les acteurs qui interviennent dans la commercialisation, leurs rôles et les différents outils utilisés ?comment fonctionne l’USCCPA au plan administratif et financier ?
-          quelle est la place des femmes dans les grandes instances de décision au sein de l’USCCPA ?
Les membres du conseil de l’USCCPA dans leur volonté de partager avec leurs collègues béninois ont donné des réponses satisfaisantes à toutes ces questions. Ce sont donc des paysans béninois comblés qui sont retournés au Bénin, convaincus d’avoir eu raison de faire cette visite au Burkina. Ils se sont également engagés, non seulement à réussir leurs activités mais à partager aussi cette expérience avec leurs collègues béninois.
            En tant qu’ancien Président de cette structure paysanne de Dédougou dans laquelle mon exploitation est toujours acteur et bénéficiaire, car représentée par un fils de la famille, je suis fier que cette structure paysanne ait maintenu le flambeau que les paysans canadiens leur avaient transmis. Comme j’ai occupé beaucoup de postes de responsabilités au Burkina Faso et en Afrique dans le mouvement paysan, j’ai eu l’occasion de faire beaucoup de voyages, rencontrer des paysans au Canada, en France, au États-Unis etc. Je peux dire sans me tromper que le système des coopératives est une solution qui peut développer l’Agriculture, augmenter les revenus tout en créant des emplois en Afrique. Grâce à l’esprit social à la base des paysans africains, ils s’adaptent bien à cet esprit de coopérative. Cela demande tout simplement un accompagnement sincère de la part de nos États et de nos partenaires au développement.

En tant qu’Agriculteur Burkinabé
Ouagadougou, le 31 Mai 2017

TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,
www.francoistraore.blogspot.com

mardi 23 mai 2017

CE QUE JE PENSE DES KOGLWEOGO



Ces derniers temps, les Koglwéogo ont mené une action négative dans laquelle il y a eu mort d’hommes. Auparavant, à l’Est du Burkina, le banditisme a obligé la population à se défendre parce que les enseignants, les infirmiers, l’administration avaient des problèmes à se déplacer et tous les commerçants étaient en danger. Les Koglwéogo ont alors joué un rôle que de nombreuses personnes ont jugé positif car étant de la société civile. Si on sait que les bandits ne peuvent opérer sans se faire apercevoir ou soupçonner par la société civile, c’était compréhensif que celle-ci à travers les Koglwéogo s’implique. En effet, tout homme moralement équilibré doit veiller sur sa sécurité et celle de son entourage. On comprend alors qu’il y ait des groupes d’autodéfense. Ce qui est grave de la part des Koglwéogo et qui a amené à cette dérive, à mon avis est qu’ils se soient fait une structure autonome qui ne dépend pas forcément de chefs de villages, de CVD, de conseillers communaux, de maires ou de préfets. Alors que dans notre tradition, avant l’arrivée des colons, on ne pouvait pas créer un groupe dans un village et faire ce qu’on voulait. Si un groupe quittait son village pour aller mener une action dans un autre village sans le consentement des habitants de ce village, cela représentait une déclaration de guerre et c’est ce qui vient de se passer. Je soutien alors les autorités pour que cette façon de faire ne se répète pas.

            La situation d’insécurité au Burkina Faso a une longue histoire. J’ai dit dans un de mes documents que depuis 1987 les forces de défense, de l’ordre et de sécurité n'ont travaillé que pour le clan présidentiel. Il fallait tout simplement être branché à ce clan pour que tout vous soit permis. Les éléments qui étaient punis, mis au garage, radiés ou même tués parmi ces forces de défense, de l’ordre et de sécurité n’étaient pas forcément mauvais. C’était ceux qui n’étaient pas soumis et qui voulaient réellement faire leur travail. L’exemple restant des soupçons de la police nous démontre les habitudes du passé où les plus petits souffraient pour les plus grands. Nous savons également que les armes circulaient n’importe comment au Burkina Faso. Même des mercenaires, il y en a eu au Burkina. Tout cela a fait que la population était confuse car si vous dénoncez quelqu’un qui est branché et ou qui a une mission à exécuter, c’est vous finalement qui avez des problèmes. Je pense que ça fait partie de l’esprit de la défense des groupes d’autodéfense. Quand la population pense que l’autorité ne fonctionne pas sur la vérité, un mal rentre facilement mais ressort difficilement. cependant il est mieux soigné quand cela passe par la racine. J’encourage donc les autorités à travailler à mettre la population en confiance et demande à ce qu’il y ait une complicité positive entre les forces de l’ordre et la population burkinabé.
       
       En tant qu'Agriculteur burkinabé

Ouagadougou, le 23 Mai 2017

TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,

www.francoistraore.blogspot.com

samedi 20 mai 2017

CE QUE JE PENSE DE LA JOURNEE NATIONALE DU PAYSAN (JNP) TENUE A KAYA DU 11 AU 13 MAI 2017



C’est à Kaya qu’a eu lieu la 20e journée nationale du paysan en 2017. Selon ce que j’ai appris des participants, elle a été l’occasion de faire le bilan des 19 journées nationales de paysan passées. Ce que je sais dans l’histoire de ces journées, c’est que c’était des occasions pour les dirigeants de ce pays de rencontrer les ruraux, de partager avec eux, écouter leurs préoccupations. C’était également l’occasion également pour l’Etat et ses démembrements de donner des informations sur un certain nombre d’orientations de politiques de développement. Il faut se dire qu’au Burkina Faso, les ruraux constituent plus de 80% de la population. Un débat d’une soirée ou d’une journée se faisait pour que les engagements pris par l’Etat et les producteurs soient discutés pour savoir ce qui a pu se faire et ce qui n’a pas pu se faire. En tant que vieux paysan qui n’a pas participé à la présente édition, je me permets néanmoins de donner quelques axes du bilan que je fais personnellement de ces journées de paysan. L’organisation des filières a toujours été un souhait des agriculteurs et de l’Etat. De nos jours, à ce que je sache, l’organisation des acteurs autours des filières agricoles est très limitée. L’approvisionnement en intrants agricoles est incontournable pour le développement de l’agriculture. Par ailleurs, de nos jours, un véritable système d’approvisionnement fiable en intrants pour tous les agriculteurs n’a toujours pas vu le jour. De bons réseaux de commercialisation ont également toujours été une préoccupation car ce sont les bons réseaux de commercialisation pour toutes les productions qui pourront garantir les revenus descends aux producteurs et faciliter l’industrialisation. L’organisation des filières, l’approvisionnement en intrants et la commercialisation sont liés, l’un ne va pas sans l'autre. Ce qui fait que la majorité des paysans n’a pas accès au crédit. Tant que le banquier ne peut pas faire la traçabilité des produits d’un agriculteur, il n’a la garantie qu’il va être remboursé.

Un paysan m’a dit qu’il a retenu deux grandes décisions qui ont été prises à cette 20e journée JNP tenue à  Kaya. La première décision est que désormais, au lieu de chaque année, la journée du paysan se tiendra tous les deux ans (biennale). La deuxième décision est qu’un secrétariat permanent va être créé pour permettre de suivre et d'évaluer les effets et impacts de cette organisation sur le développement du monde rural. Je saisi cette occasion pour contribuer à ma manière. Nos Etats se sont engagés sur l’acte uniforme OHADA relatif aux sociétés coopératives. Nous, au Burkina Faso, sommes même en retard concernant nos engagements par rapport à cette loi. L’application effective de cet engagement sur la loi OHADA pourrait résoudre le problème d’organisation. Dans cette loi, tous les agriculteurs doivent créer leurs coopératives. Je souhaite que cette fois-ci, nous ne soyons pas en déphasage comme cela était le cas avec la loi 14 où tous les paysans devaient s’organiser par filière. Ceux qui ont pu s’adapter à la loi 14 n’ont pas toujours brillé dans la gestion de leur organisation et cela tue la confiance entre les producteurs d'une part, et d'autre part, entre les producteurs et les différents partenaires. Les services d’accompagnement n’ont pas toujours été au rendez-vous pour rétablir cette confiance. Je souhaite qu’on ne fasse pas semblant de négliger ces faiblesses car les coopératives sont des entreprises. Si elles sont mal gérées, cela va exploser tôt ou tard, ce qui va encore aggraver la situation de l’agriculture.

Une banque agricole est née au Burkina Faso. Dans cette banque, des agriculteurs sont actionnaires; cela est une bonne chose. Dans mon expérience, quand j’étais le Président de l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB), l’Union Provinciale des Producteurs de Coton de Bobo avait créé une caisse d’épargne reconnue par la BCEAO. Et comme j’ai une exploitation à Bobo, donc étant membre de base de cette union, nous avons cotisé cinquante mille  (50 000) francs chacun à fonds perdus (par paysan) pour pouvoir installer cette caisse et cette caisse avait des relais dans les communes. Non seulement cela permettait aux paysans d’épargner non loin d’eux et de récupérer leur argent quand ils le voulaient, mais ces caisses avaient aussi commencé à octroyer des crédits. Cela fonctionnait très bien. Mais en 2014, il y a eu un nouveau Président à la tête de l’union provinciale des producteurs de coton de Bobo; celui-ci a dilapidé tous les fonds d’épargne des paysans qui restaient dans les caisses. Les paysans se sont plaints contre lui à la justice et il a été mis en prison. Cinq (05) mois après, il a été libéré sans avoir été jugé et sans avoir remboursé l’argent des paysans. Ce qui est encore grave est que lors du renouvellement des structures de l’UNPCB en 2017, des bricoles ont permis à celui-ci est redevenir Président provincial au vu et au su de tout le monde. J’ai la conviction que tôt ou tard, cela va exploser. Je donne cette expérience comme exemple et j’en ai plusieurs pour qu’on en tire leçon pour savoir qu’une chose est de mettre des coopératives en place et une autre est de les rendre crédibles. Et une structure qui n’a pas de bon dirigeant ne peut pas être crédible. Je souhaite donc un travail de conscientisation sur ces aspects avant et après la création des coopératives.

Le système des Nations-Unies a fait de l’année 2012, l’année internationale des coopératives. j’étais un des ambassadeurs du système et l’idée était de promouvoir les coopératives comme outil incontournable pour le développement des communautés et des ruraux. J’ai également eu l’occasion de participer aux négociations de l’OMC; la leçon que j'ai retenue est que la force des pays dans les négociations tient à leur niveau d’organisation. Les burkinabé sont des grands travailleurs, les coopératives ont fait leurs preuves de par le monde; nous ne devons pas accepter que la mauvaise organisation et gestion soit un blocage pour le développement dans le milieu rural au Burkina Faso.

En tant qu’Agriculteur Burkinabé

Ouagadougou, le 20 Mai 2017

TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,
www.francoistraore.blogspot.com