vendredi 25 février 2011

Ce que je pense de la relance de la filière coton du Tchad

Les producteurs du coton du Tchad, appuyés par leur partenaire OXFAM, m’ont invité pour animer un atelier d’échanges et donner des conférences sur la relance de la filière cotonnière du Tchad lors d’une mission d’appui organisé du 15 décembre au 29 décembre 2010. Ce voyage à été facilité par l’Association des Producteurs du Coton Africain (AProCA), dont l’Union National des Producteurs du Tchad (UNPCT) est membre.
Dès mon arrivée à Ndjamena au Tchad, la première étape a été de rencontrer les autorités politiques, administratives et le Conseil National de Concertation des Producteurs Ruraux du Tchad (CNCPRT) pour échanger sur l’objet de ma mission. La première structure avec laquelle je me suis entretenu a été la commission parlementaire qui s’occupe du coton. J’ai présenté l’AProCA, sa vision, sa mission et ses objectifs. J’ai terminé par la lutte engagée, ensemble avec les gouvernements, contre les subventions aux producteurs des pays occidentaux qui ont fait chuter le prix du coton. De nos jours, le prix du kilogramme du coton fibre sur le marché mondial est extraordinaire par rapport aux prix de la dernière crise du coton, qui de ma connaissance était de 600 à 650f CFA. Actuellement, il atteint environ 1800f CFA, soit près du triple de celui alors de la crise. Le souhait de l’AProCA est que cette montée vertigineuse du prix, engendre l’augmentation  au maximum des revenus des producteurs. Les parlementaires, dont certains sont issus des zones cotonnières, ont reconnu l’apport du coton dans le revenu des familles paysannes par le passé (les investissements immobiliers, l’instruction des enfants, la modernisation de l’agriculture, etc.). Ils ont ajouté qu’en tant que représentants de la population, ils s’engagent à porter la voix des producteurs pour soutenir la filière. Mais, ils pensent qu’il y a des problèmes au niveau du comportement des producteurs et de celui de la société cotonnière qui méritent une correction.
J’ai ensuite rencontré le secrétaire général du ministère de l’agriculture. Après l’exposé de l’objet de ma mission, celui-ci trouve qu’elle est à point nommée car la vision du gouvernement est de relancer la filière coton. Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que, depuis la crise, chaque année le gouvernement injecte de l’argent dans la filière et qu’elle continue à s’enfoncer. J’ai répliqué que ma mission est de discuter avec les producteurs afin de comprendre les vrais problèmes et leur apporter mon expérience.
C’est après cette entrevue que j’ai eu un entretien avec le CNCPRT. L’UNPCT est membre de cette structure, qui m’a bien reçu et se réjouit du fait qu’un de leur démembrement, ait fait appel à un savoir et une expérience paysanne pour échanger. En effet, leur souhait a toujours été que le producteur tchadien soit écouté et respecté.
Après Ndjamena, je me suis rendu à Moundou à environ cinq cent (500) kilomètres dans la zone cotonnière où l’atelier a commencé le 18 décembre 2010. Comme préliminaire les producteurs au niveau décentralisé par zone de production avaient fait un diagnostic de la situation de la filière. Après l’introduction, nous avons fait une synthèse de ce travail à trois niveaux : les problèmes qui existent entre les producteurs dans leurs organisations, les problèmes entre les producteurs et la société cotonnière, les problèmes liés au politique et  à l’administration. Je leur ai dit que dans mon expérience, j’ai toujours voulu que nous producteurs analysions d’abord les problèmes dus à nos comportements avant ceux des autres partenaires. Nous avons travaillé effectivement pendant deux jours sur nos comportements. Nous avons proposé aussi des solutions conduisant à un changement qualitatif de comportement et de savoir faire les concernant. J’en donne deux exemples : un producteur qui prend de l’engrais et le revend sans produire du coton. Un autre qui prend la dose d’engrais d’une superficie donnée de coton et l’utilise pour le coton et le maïs alors que c’est le coton qui paye tout. Comme solution au dernier problème, les producteurs ont retenu de demander de l’engrais au ministre de l’agriculture au profit du maïs ce qui va du même coup contribuer à la sécurité alimentaire du pays... A la fin les producteurs,  ont pris des engagements fermes pour créer une discipline des agriculteurs et prévu des sanctions à l’encontre d’éventuels producteurs qui seront en porte-à faux avec les règles adoptées par tous.
Le diagnostic et l’analyse des problèmes entre eux et la société cotonnière et ceux liés au politique et à l’administration ont également pris deux jours. A titre d’exemple, il y a eu une année où les producteurs ont trouvé un magasin plein d’engrais du Tchad au Cameroun. Ce qui signifie que l’engrais du Tchad a été livré à un commerçant camerounais certainement par un agent de la société cotonnière alors que la même année des producteurs de coton ont manqué d’engrais pour leur coton. Les problèmes ont été hiérarchisés par priorité et dans le temps. L’UNPCT a été mandaté pour débattre avec le COTON TCHAD des propositions de solutions dégagées par les producteurs la concernant.
Quant à l’Etat, un des problèmes cités a été l’insuffisance du suivi technique des producteurs. Les problèmes ad hoc tel que le conflit agriculteurs éleveurs a été soulevé. Pour les producteurs, depuis que certains cadres de l’administration ont commencé à être éleveurs, ce conflit s’est aggravé et l’agriculteur n’est plus écouté. Ils pensent qu’on ne peut pas relancer la filière dans un tel contexte.
Entre temps, j’ai eu l’occasion de rencontrer le PDG de la société cotonnière assisté de son directeur de la production qui venait d’être nommé. Je lui ai donné l’objet de ma mission et lui ai expliqué la démarche suivie dans l’atelier, en commençant par les problèmes au niveau des producteurs. Concernant les problèmes susceptibles d’être liés à la société, les producteurs ont souhaité qu’ils puissent rencontrer le PDG pour en débattre. Quant aux problèmes concernant l’Etat, ils ont souhaité que les deux entités producteurs / société cotonnière puissent faire des démarches pour rencontrer les autorités pour en discuter. Le PDG a donné la parole à son directeur de production. Ce dernier souhaite avoir des producteurs professionnels en face de lui et non de simples revendicateurs. Quant au PDG lui-même, il a salué l’initiative et affirmé qu’il est de l’administration, nommé il y a juste un an pour redresser la filière cotonnière. Il a trouvé que le COTON TCHAD à un moment donné faisait partie des grands producteurs africains avec 263000 tonnes de coton graines dans les années 90. Or en 2009-2010, elle n’a fait que 35000 tonnes avec neuf (9) usines et la commercialisation démarrait en février au plus tôt, au lieu de novembre. Il a même constaté que certains producteurs avaient fait un an sans être payé. Alors, sa priorité a été de payer ces producteurs. Dans son analyse, il pense que le COTONTCHAD a cherché du coton mais, elle n’a pas cherché les producteurs parce qu’un producteur qui a fait un an sans avoir l’argent de son coton ne fait plus partie de ceux qui vont lui donner du coton. Il reconnait que le COTONTCHAD a failli à sa mission. Pour lui c’est ensemble avec les producteurs qu’ils devront redresser la filière. Il va même plus loin en souhaitant que les producteurs soient actionnaires un jour dans la société. Il ajoute que la synergie d’action et la complicité sont des outils nécessaires dans la collaboration entre partenaires. Pour lui, sa vision n’est pas seulement de gérer la société, mais de créer un système efficace, concerté et accepté par les deux parties.
Après l’atelier, le président de l’UNPCT et moi avons animé une conférence de presse. Dans cette conférence, après le mot introductif du président sur la relance de la filière prônée par les producteurs de coton, une des questions adressées au président a été de savoir si les techniciens ont été associés à la conception de cette idée de relance du coton. Le président a répondu qu’un technicien compétent devrait s’attendre à ce genre de créativité par les producteurs. Pour lui, un de leurs problèmes est dû à ces ingénieurs agronomes qui s’assoient dans leur bureau pour élaborer des rapports qui ne collent pas avec la réalité du terrain. Il ajoute que la place d’un ingénieur agronome efficace n’est pas dans un bureau mais au champ et c’est là le mal de l’Afrique.
De retour à Ndjamena, j’ai animé une autre conférence de presse. A cette conférence, une des questions a été qu’un chef de canton dont le crédit constituait la moitié de celui des autres producteurs du village et qui n’a pas pu payer, a bloqué les revenus des autres producteurs. Alors comment peut-on remédier à ce genre de problème? J’ai répondu qu’il s’agit de la caution solidaire. Celle-ci n’est pas une chose nouvelle, car la solidarité est une valeur africaine sauf quant elle est mal appliquée. Dans cette société, le chef était le garant de la justice parce ce que sans justice il n’y a pas de paix. Dans le coton, c’est du business, c’est la capacité productive de chacun qu’on doit considérer et non son visage ou son appartenance pour lui donner du crédit. Pour moi, la caution solidaire a toujours été fustigée ; or aujourd’hui la décentralisation est à la vogue. Cette décentralisation est pourtant une forme de caution solidaire à travers la gestion de l’avenir par la communauté par elle même. Peut-on la réussir sans être solidaire ? Dans mon village à Sogodjankoli au Burkina Faso, nous gérons la caution solidaire depuis 1980 et nous arrivons à résoudre nos problèmes en se disant la vérité. Cela nous a permis de construire une école équipée, un dispensaire et des logements. Les producteurs tchadiens témoignent qu’ils ont pu bénéficier de mes expériences et se sont engagés à être solidaires et rigoureux. Je demande également à l’administration dont relève ces chefs à faire la part des choses entre l’abus du pouvoir du chef et son implication pour la justice.
Une autre question était qu’au Cameroun la société cotonnière donne des prix aux meilleurs producteurs de coton pour encourager la production alors que cela n’est pas fait au Tchad. Ce manque de stimulation au Tchad ne joue-t-il pas sur l’évolution du coton? Ma réponse a été que si les problèmes réels du coton soulevés par les producteurs et le PDG ne sont pas résolus, les récompenses ne serviraient qu’à encourager la médiocrité. Pour moi le plus souvent les récompenses en Afrique sont des partages entre amis sans mérite et cela ne stimule pas le progrès.
Pour terminer, j’ai remercié la presse en disant qu’elle doit soutenir dans leurs démarches les agriculteurs qui de part leurs activités, créent des richesses. L’AProCA, selon sa vision accorde beaucoup d’importance à la presse.
Depuis mon arrivée, deux agents de l’OXFAM ont facilité tout ce processus, et c’est l’occasion pour moi de les remercier. Je remercie aussi le président l’AProCA, qui, avec ses partenaires de l’UEMOA, ont facilité mon voyage.
                                                                   Ouagadougou, le 01 janvier 2011
                                                                   TRAOE B. François,
                                                                    Président d’honneur de l’AProCA,
                                                                    Docteur Honoris Causa.

dimanche 20 février 2011

La nécessité du partage d’expériences

La nécessité du partage d’expériences
Dans la société Bwaba dont je suis issu, à 50 ans, la sagesse dit que lorsque l’homme  a eu l’occasion d’assister à beaucoup de choses, d’écouter ceux qui l’ont précédé en âge, il doit avoir accès à la maison sacrée, contribuer aux bien être de la famille, du village et de la société. Il doit avoir une vision du devenir de sa progéniture. Cela l’interpelle donc à participer à l’éducation, à la formation et aux conseils de celle-ci.
Moi TRAORE B. François, je suis du village de Konkuy dans le département de Doumbala province de la Kossi au Burkina Faso. Dans la société africaine, un adage dit qu’un jeune qui a connu cent villages, a environ la même connaissance qu’un vieux qui a cent ans. Moi, j’ai eu l’occasion de passer mon enfance au Sénégal dans la zone de Kaolack, une partie au Mali entre Kita et Toukoto et je suis rentré au Burkina en 1973 lorsque j’avais 20 ans. En 1975, je suis allé en Côte-d’Ivoire dans la zone de Aboisso. Après trois mois de travail dans les champs de palmiers et de café, je suis retourné au bercail. Par la suite, les responsabilités que j’ai occupées dans mon pays et au niveau africain, m’ont permis de voyager dans plusieurs continents. Aujourd’hui, j’ai 59 ans, j’ai donc plus de la moitié de cent ans, je connais également plus de cent villages. Cela implique que je dois avoir de l’expérience positive et négative qui peut aider la jeunesse dans le métier de l’agriculture que j’exerce. Mon village, et mon pays se trouvent en Afrique un des rares continents où on importe encore beaucoup à manger pourtant, près de 80% de la population est agricultrice et rurale. Je dis alors que j’ai un devoir vis-à-vis de cette société. C’est la raison pour la quelle, j’ai décidé de créer un blog à travers lequel je vais de temps en temps partager mon expérience et donner mon avis sur mon métier qui est l’agriculture africaine. La mondialisation nous contraint à être ouvert. Je serais souvent obliger de parler de l’agriculture des autres  continents que j’ai visités afin de participer à la construction de la société humaine dans cette mondialisation que je veux voir en positif. L’agriculture pour moi est le premier signe de civilisation homogène à tous les peuples. Tous ces peuples sont  partis de cueillette et de chasse à la créativité et à la  découverte de quelque chose qu’ils pensent bon, qu’ils isolent et entretiennent pour que cela se développe mieux. En effet, c’est ce qui a permis à l’homme de s’épanouir et de gagner à manger sur place et de ne pas continuer à errer dans la nature pour cueillir des fruits et chasser des animaux. C’est ainsi qu’après l’agriculture, l’homme a créé le village. Les ancêtres de tous les peuples sont humanistes, chercheurs, et mêmes visionnaires. Cette vision, n’a pas pris la même allure d’un point du globe à l’autre. C’est ce qui a créé la disparité du niveau de l’agriculture, et du développement dans le monde. L es raisons de la disparité de ces différents progrès sont multiples. Il faut alors les rechercher en se référant à la créativité de nos parents, de nos ancêtres, tout en sachant que tous les hommes sur la terre sont les mêmes et disposent tous des mêmes capacités.
L’Afrique est à la fois riche et pauvre. Selon les statistiques du commerce mondial, elle n’y pèse pas (grande chose) . Or, tout le monde reconnait qu’elle est riche et pourtant, les agriculteurs africains sont les plus pauvres. Certains penseurs trouvent que  cette pauvreté  provient de notre ignorance. Pourtant dans les années trente, on  a recruté ces africains dans les villages sans chaussures, et ou sans chemises, et quelques mois après, ils étaient des combattants dans la guerre 39-45. Les personnes sincères savent leur utilité dans cette guerre. Nous avons ainsi participé positivement  à cette mondialisation avec notre corps et notre rapidité de compréhension. Mais, il s’agit donc de quelle ignorance qui empêche notre développement?
De nos jours, pour l’agriculture en Afrique apparemment, il y a beaucoup de volonté politique, de social, de conférences et de financements à l’endroit du milieu rural. Mais lorsque vous allez dans ce milieu, beaucoup de paysans ne savent pas que c’est d’eux qu’on parle. Ceux-ci pensent qu’ils sont nés pour être pauvres. Il est donc temps de revoir les choses, de partir de la situation actuelle de l’agriculture dans les villages où les terres et les populations s’appauvrissent de jour en jour. Les populations sont contraintes de se rabattre sur leur environnement pour survivre. Or, elles devaient entretenir cet environnement, mais l’insuffisance de temps et de moyens ne leur permettent pas de le faire.
Sur ce blog, c’est un débat ouvert que j’ouvrirai à chaque fois je vais écrire. J’aimerai aussi qu’il y ait des commentaires ou  des débats sur mes écrits et si nécessaire m’interpeler sur certains sujets face à l’agriculture.
                                                        Ouagadougou, le 19 février 2011
                                                                TRAOE B. François,
                                                                 Président d’honneur l‘AProCA,
                                                                Docteur Honoris Causa