jeudi 17 avril 2014

Ce que je pense de la journée nationale du paysan au Burkina Faso


La journée nationale du paysan (JNP) au Burkina Faso a été instaurée par le gouvernement. L’idée était de permettre aux ruraux d’exposer leurs problèmes en direct au gouvernement pour avoir des solutions. L’initiative en tant que telle est salutaire. Depuis la création de cette journée, des groupes de paysans ont pu signaler leurs préoccupations et ont trouvé leurs solutions. L’idée de création des chambres d’agriculture (CA), des groupements de producteurs de coton (GPC) et de création de la confédération paysanne du Faso (CPF) en sont des exemples. D’autres préoccupations pratiques des producteurs ont souvent trouvé leurs solutions lors de ces JNP. C’est le cas de la petite irrigation  et de l’acquisition de certains équipements agricoles.

Si j’ai décidé de donner ma préoccupation par rapport à son fonctionnement, c’est parce qu’il y a des problèmes qui ont été chaque fois  soulevés à ces journées du paysan et qui n’ont jamais été résolus. Ce fait devrait obliger les différents ministères de l’agriculture, de l’élevage et de l’environnement à planifier leur travail de terrain pour que la philosophie du développement agricole à partir des préoccupations du producteur, change. Par exemple, nous avons plusieurs fois entendu l’expression «  filière non organisée » pendant ces JNP. Parmi les filières qui tentent de s’organiser, plusieurs ne sont pas fonctionnelles. En effet, depuis la création de cette journée nationale du paysan jusqu’à nos jours, si les actes étaient en accord avec les paroles, des organisations paysannes devraient être capables d’aller développer leurs chiffres d’affaire et démontrer leurs gains ou leurs pertes devant le gouvernement. Cela, pour toutes les filières qui existent au Burkina Faso.

La loi 014 portant règlementation des sociétés coopératives et groupements au Burkina Faso existe depuis 1999. Mais on ne sent toujours pas une orientation agricole qui permet la valorisation réelle de toutes les filières. Pour moi, on devrait être maintenant à l’étape de transformation, commercialisation et même d’exportation  avec un bon système de traçabilité, niveau qui permet l’ouverture des agriculteurs au crédit et d’avoir la confiance du marché national et international.  On devrait au moins avoir atteint la souveraineté alimentaire qui est un objectif élémentaire. Malheureusement, nous continuons à importer beaucoup de riz. Cette importation du riz est un deal de certains responsables politiques et reste bien entretenue. 

Dans l’histoire du coton, dans les années 1990, nous avions dénoncé la structuration par groupements villageois (GV) et proposé la structuration par groupements de producteurs de coton (GPC). Nous producteurs de coton, nous avons donc expérimenté l’organisation des filières depuis 1996 avant la loi 014. La société cotonnière (SOFITEX) qui avait senti la rupture de confiance entre les producteurs dans les groupements d’une part  et d’autre part entre les agriculteurs et elle, était obligée de soutenir notre proposition de création de GPC. Les actionnaires de la filière coton à l’époque, l’État burkinabè y compris, ont été obligé de nous suivre. De nos jours, le secret du coton est basé sur la confiance instaurée dans ces GPC.  C’est cette crédibilité qui permet le crédit.  L’existence d’un circuit de commercialisation du coton est également un atout. Ce type d’organisation dans la filière cotonnière est possible dans toutes les autres filières au Burkina Faso.

En 2009, le thème de la journée nationale du paysan à Koudougou était basé sur la diversification.  Ce jour, nous producteurs de coton, nous avons dit que nous diversifions déjà car nous sommes les grands producteurs de maïs au Burkina Faso. Nous faisions déjà  l’approvisionnement des instants maïs.  Nous avions également choisi les grands producteurs de maïs parmi les grands producteurs de coton comme semenciers de maïs et nous avions à l’époque acheter la semence de base de maïs à la recherche (INERA) pour que ces grands producteurs nous la multiplient. Nous avions donné trois ans pour que les producteurs de coton qui produisent du maïs puisent être tous satisfaits en semence améliorée de maïs. 

La suite était la création d’une structure maïs autonome comme l’union nationale des producteurs de coton (UNPCB). Tout producteur qui désirait produire et commercialiser le maïs pouvait librement être membre de cette nouvelle structure (maïs) ou des deux structures à la fois (coton et maïs) pourvu qu’il ait des quantités à commercialiser. Ce qui n’est pas à confondre avec les groupements villageois (GV) dans le temps où toutes les productions se géraient dans la même structure ; parce qu’en matière de filière, les partenaires commerciaux sont différents. Nous avions de l’argent du projet PAFASP pour accompagner cette structuration maïs. Ce projet de l’État burkinabè était financé par la Banque Mondiale. Mais en 2010, quelques producteurs ont dénoncé cette structuration maïs. Ces producteurs étaient soutenus par la direction de la société des fibres textiles (SOFITEX) d’alors car pour la direction de la SOFITEX, si les agriculteurs gagnent de l’argent dans le maïs, ils risquent d’abandonner le coton. Après quelques passages dans les journaux où ces agriculteurs dénonçaient la mise en place de cette structure  maïs, j’ai été convoqué par le même premier ministre qui avait présidé la JNP de Koudougou en présence de ses trois ministres, deux de l’agriculture et un du commerce. Ce jour, ce même premier ministre me dit que la SOFITEX est inquiète. La raison avancée était que si la filière maïs est organisée et que les producteurs de coton gagnent beaucoup d’argent dans le maïs, ils risquent d’abandonner le coton. Le premier ministre avait précisé que le gouvernement soutenait cette inquiétude de la SOFITEX et nous a demandé de sursoir à l’organisation de la filière maïs.

Nous avons rappelé au premier ministre que le maïs a été introduit dans les champs de coton par la SOFITEX depuis les années de la petite motorisation et que de nos jours, 80% du maïs commercialisé au Burkina est produit par les cotonculteurs. L’élément nouveau ici, c’est l’organisation de la filière maïs sinon la majorité des cotonculteurs produisent déjà le maïs. J’ai dit également au premier ministre que c’était ma première fois de voir que le mot « organiser » soit perçu en négatif. Je ne comprenais pas non plus pourquoi l’expérience d’une filière organisée (coton) ne peut pas être mise au profit d’autres filières comme le maïs. Une chance pour cette filière maïs est le fait que les grands producteurs de coton sont en même temps des grands producteurs de maïs du fait de la rotation coton-maïs qui est une nécessité technique. Les États-Unis ont toujours été des grands producteurs de maïs et des grands producteurs de coton. Les États-Unis continuent toujours de grandir et cela fait d’eux une économie forte.

Je ne comprenais plus la logique du gouvernement quand il dit de diversifier les productions et empêche la diversification des sources des revenus des producteurs. En début 2010, j’ai donc pris la décision de démissionner à la tête de l’UNPCB. Mais, en plus de l’élevage que je pratique, je continue à produire mon coton et mon maïs en demeurant membre des structures de ces  trois grandes productions, tout en sachant que beaucoup de choses qui se disent à la journée nationale du paysan ne sont pas ce qu’on veut faire. Cela m’a poussé à me demander si la JNP n’est pas devenue un meeting politique car elle n’arrive pas à changer les fondamentaux de l’agriculture et du métier rural. Les quelques problèmes ponctuels résolus sont considérés comme des cadeaux offerts aux producteurs et ne sont pas vus comme des devoirs dans un bon processus. 

Quand j’étais présidant de la CPF en 2002, nous avons soulevé le problème foncier des exploitations agricoles. Le gouvernement a créé en 2009, la loi 034 portant régime foncier rural dans ce sens mais  depuis lors, elle n’arrive pas à être fonctionnel. Pendant ce temps, les grands dirigeants de l’administration burkinabè qui sont tous avisés sont en train de se tailler de grandes portions de terre qu’ils sécurisent au détriment des paysans, leurs voisins  dans les localités. Les paysans demeurent toujours dans l’insécurité foncière. Eux, les dirigeants de la haute administration, ont le droit de posséder des terres sécurisées. Leurs terres acquis et sécurisées ne sont  très souvent pas exploitées  et ils comptent sur ce qu’elles vont les rapporter dans l’avenir ; chose qui constitue une source de diversification de leurs revenus.

Selon le rapport du groupe de recherche et d’action sur le foncier (GRAF) en janvier 2011, lorsque ces nouveaux acteurs exploitent une portion de leurs terres sécurisées, ils ne  respectent aucune disposition légale en matière de mise en valeur des terres. Cela se manifeste au plan environnemental par le non-respect du code forestier, de la coupe sélective comme la préservation du Karité, du baobab, du Néré, du tamarinier…, espèces pourtant protégées par les paysans. La pratique du défrichement au bulldozer entraine la destruction totale du parc  arboré et de son écosystème. Dans les villages, tous les paysans ont des champs. Autochtones comme migrants vivent ensemble et se sont octroyés des terres. Si la résolution de la question foncière dans ces villages est devenue un problème, c’est parce qu’on la politisée. Dans ces milieux, si vous utilisez le « membership politique  du clientélisme », vous cassez le tissu social qui est une des bases de la culture africaine.

À la JNP à N’Dorola en 2002, j’avais fait une interview sur un journal dans lequel je demandais le téléphone portable pour tous les producteurs. Quand ce journal  a été distribué aux officiels, il était ridicule devant certains, parce que c’était trop demandé que le paysan ait un téléphone portable. Quelques années après, le téléphone portable se trouve dans presque tous les villages du Burkina. Moi-même j’ai compris que cela est le fait de  la pression internationale de la mondialisation. Des entreprises avaient leur technologie, cherchaient à la valoriser et l’Afrique était vierge. Tous les pays africains ont eu le téléphone portable au même moment, jusqu’en milieu rural. Personne ne me convaincra pour dire que c’est les chefs d’États africains qui ont lutté pour cela. Nous subissons la politique extérieure et cette fois-ci elle a été positive. Certains dirigeants africains ne sont même pas contents du fait que chaque paysan arrive aujourd’hui à communiquer au téléphone;  mais ils n’ont pas le choix.

Si la journée nationale du paysan prend des envergures politiques, elle ne peut qu’être source de problèmes parce que je me rends compte que dans la politique actuelle au Burkina, la qualité de l’homme et son leadership ne sont pas prises en considération. C’est plutôt sa soumission au régime qui prime. Dans beaucoup de services publiques au Burkina Faso, plus vous êtes bon travailleur et honnête, plus vous avez des problèmes. Il faut même être branché pour être décoré ; on s’en fou du mérite. C’est ainsi qu’il y a dans les services des hommes qui ne foutent rien et qui continuent à toucher leur salaire. Quelqu’un m’a dit qu’avant la prise de pouvoir du capitaine Jerry Rawlings au Ghana, le grade dans l’armée  s’obtenait par le nombre de bouteilles de bière offertes. C’est ce comportement que le Ghana a su changé et on sait tous aujourd’hui la position du Ghana en matière de développement.

 Je ne souhaite pas que ce comportement contamine le milieu rural. Malheureusement,  c’est déjà le cas. L’exemple de la décentralisation où dans une localité, les candidatures des maires sont décidées par le parti politique et non pas par les populations, est un cas palpent. La détermination d’un homme pour le développement de sa localité ne compte plus si bien que dans beaucoup de  localités, nous avons des personnes de très bonnes capacités qui peuvent bien diriger mais qui se croisent les bras. Cette situation crée des conflits par manque de confiance. Tout cela influence négativement l’esprit d’organisation dans le milieu rurale. Le métier rural est un métier honnête qui n’aime pas le mensonge. Si tu sèmes de l’arachide, tu vas récolter de l’arachide. Si tu sèmes du coton, c’est du coton que tu vas récolter. Si tu n’as rien semé, tu ne récolteras rien. C’est pour cela que la qualité des hommes doit compter pour mettre la confiance entre les acteurs.

Après toutes les journées du paysan, je ne vois pas une telle philosophie se pointer à l’horizon.  Tout le monde sait pourtant que les ruraux burkinabè sont des braves travailleurs. Nous avons tout simplement un problème de leadership pour un bon résultat. On m’a dit qu’au Rwanda, si tu es à la tête de n’importe quelle structure, chaque année tu dois avoir un engagement annuel dans lequel tout le monde trouve son compte. Un an après si tu n’as pas atteint l’objectif que tu as fixé, tu quittes pour céder ta place à quelqu’un d’autre. Un dirigeant est donc apprécié que par ses résultats dans lesquels tout le monde gagne.

C’est pour cela que dans mes discours actuels, je parle de conscientisation des acteurs. Gandhi et Martin Luther King ont passé toute leur vie à conscientiser leur société et cela a bien eu un impact positif sur les hommes. Pour moi, l’initiative du contact direct entre  les producteurs et le gouvernement tout en étant salutaire, est au deçà des attentes du milieu rural car cette journée devrait susciter une autre philosophie. Cette nouvelle philosophie doit  nous conduire à l’éradication de la pauvreté et entrainer une  baisse sensible de l’exode rural et du chômage.

Ouagadougou, le 16 avril 2014
TRAORÉ B. François,
Agriculteur Burkinabè,
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,
E-mail: dadilotbf52@yahoo.fr  
Skype:dadilotbf52                                                                                     
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