Du
28 au 30 novembre 2018 s’est tenue à Ouagadougou, la 5ème édition du
Salon International du Textile Africain (SITA). En plus du représentant de
l’Union Africaine, il y a eu la participation des représentants de plusieurs
pays africains à ce salon. Plusieurs ONG et associations ont également pris
part à cette rencontre. J’ai été invité en tant qu’agriculteur et ancien
président de l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB). Je
remercie donc les organisateurs qui ont maintenu le cap depuis la 1ère
édition.
J’ai
été fier de ce salon après ma participation à un panel de discussion dans
lequel j’ai beaucoup appris. J’ai aussi eu l’occasion de livrer mes impressions
en tant qu’acteur. Je me permets donc de donner quelques impressions et
préoccupations qui m’ont marquées sur les sujets débattus. Un des sujets débattus
était les enjeux de la production et de la transformation, leurs effets
socio-économiques et leurs effets sur la santé humaine et sur l’environnement. Dans
l’histoire, nos parents ont cultivé le coton sans intrants importés. Ils l’ont
transformé pour s’habiller et dans cette transformation, la teinture était
locale. Pour eux, c’était une nécessité de travailler, se nourrir et s’habiller.
L’histoire nous dit que nos parents exportaient même la cotonnade dans les pays
voisins. Je sais que dans des années 60, la population du Burkina ne dépassait
pas 5 millions. Aujourd’hui, nous sommes plus de 18 millions qu’il faut nourrir
et habiller. Dans la recherche du développement, plus de 5 millions de
burkinabés sont à l’extérieur. Nous agriculteurs burkinabés, nous avons comme
vision de nourrir les 18 millions et faire du développement ; c’est ce qui
nous a amené à un moment à produire jusqu’à plus de 700 000 tonnes de
coton. Plusieurs pays africains produisent également le coton et tout ce coton
africain est essentiellement exporté. Le constat est qu’en Afrique, la
production traine les pieds. Même si tout le coton africain produit
actuellement devait être transformé en Afrique, il ne suffirait pas pour
habiller la population africaine. Dans cette production actuelle, nous avons
été obligés d’utiliser des intrants importés et le peu de transformation qui
est fait sur le coton se fait également souvent avec des produits importés.
Certains de ces produits ont été trouvés nocifs à la santé humaine et à
l’environnement. En tant qu’acteurs, nous avons donc été interpellés pour cette
pollution. Ma réponse a été que nous utilisons ce qu’on nous propose comme
intrants et si nous avions le choix entre des intrants qui polluent et ceux qui
ne polluent pas, nous choisirions aisément d’utiliser ceux qui ne polluent pas
et qui nous permettent d’augmenter notre production. Nous attendons tout
matériel utile qui peut nous permettre d’augmenter notre production et d’augmenter
nos revenus en préservant notre santé et notre environnement. C’est plutôt les
intellectuels africains qui sont interpellés sur ces sujets, nous les avons mis
à l’école pour nous éclairer. Moi, malgré que ma limite à l’école était le
primaire, quand je faisais une erreur, ma mère me disait : « Pourtant
on t’a mis à l’école ». Aujourd’hui nous en avons qui y ont fait plus de
20 ans avec tous les grands diplômes que l’on peut avoir ailleurs. S’ils fuient
leur responsabilité, de grâce, qu’ils ne mettent pas le tort sur leurs parents
qui les ont mis à l’école. Être utile pour ses parents fait partie de la
tradition africaine.
Il
y a eu également un sujet sur les souffrances de la femme africaine. Pour
certains, c’est elle qui nourrit ses enfants toute seule et c’est elle qui paye
la scolarité de ses enfants pendant qu’elle ne dispose pas de terres. Moi en
tant qu’acteur, je n’étais pas d’accord avec cela. Je n’aime pas qu’on tienne
des langages pour faire plaisir à certains partenaires. A mon avis, si un homme
et une femme vivent ensemble, c’est parce qu’ils s’aiment et qu’ils aiment tous
leurs enfants. Dans notre contexte, la femme quitte sa famille pour rejoindre
celle de l’homme. Disons tout simplement qu’il y a eu une désorganisation de la
famille africaine où elle est très souvent réduite à la famille nucléaire
c’est-à-dire à l’homme, sa femme et leurs propres enfants, ce qui oblige tout
le monde à la tâche dans leur exploitation. C’est là également qu’il faut dire
que nos intellectuels et les religions n’ont pas bien joué leurs rôles. Nos
ancêtres avaient une sociologie qui trouvait des solutions aux problèmes. Mon
père m’a dit par exemple que la parenté à plaisanterie était très souvent développée
suite à des conflits entre deux entités à la fin desquels on signait un pacte
pour qu’il n’y ait plus de bagarre. Dans la zone cotonnière au Burkina Faso,
les hommes avec leurs revenus ont construit de belles maisons dans lesquelles ils
habitent avec leurs femmes. En plus de cela, je fais partie de ceux qui ont
acheté des moulins pour leurs femmes. Je préfère donc que nous positivons le
débat par de bons exemples. Si au Canada ou en France, les hommes sont dans
leur exploitation avec leurs femmes et leurs enfants, nous travaillons également
à faire la même chose ici. Dans certains pays, les hommes se marient entre eux,
nous agriculteurs africains, nous ne sommes pas à ce niveau et nous ne le rêvons
même pas. Dans certaines traditions africaines, on vous dira même que cela peut
empêcher la pluie de tomber.
Le
dernier sujet qui m’a préoccupé, c’est celui du rôle de nos institutions
africaines et de nos Etats. Partout en Afrique, près de 80% de la population
est rurale. L’espoir du développement reste la production et la transformation.
Et cela est conditionné par une production de qualité et de quantité. Nous
n’allons pas inventer la roue, tous les continents sont passés par là. Dans
certains pays développés, les ruraux ne dépassent pas 5%. Je préfère que l’on
créé de l’emplois par la production et la transformation pour la jeunesse que
de la laisser partir mourir dans la mer ou être utilisé dans des rébellions.
Certaines statistiques disent que 60% des terres cultivables restantes dans le
monde sont en Afrique. Je ne souhaite pas que ces terres soient un jour vendues
à des étrangers comme c’est le cas pour l’or, le diamant, le pétrole etc. Dans
ces cas, les yeux sont fermés sur la pollution et la destruction de l’environnement,
et c’est encore nous les ruraux qui en souffrons le plus, mais on appelle cela
partenariat. Ces mêmes partenaires refoulent notre jeunesse dans leurs
frontières. Il ne faut surtout pas que nos institutions et nos politiques se
disciplinent devant leurs partenaires en oubliant leurs populations et de
n’aller vers eux que lors des élections. Il existe des exemples de pays dans le
monde qui ne se sont pas laissés faire pour atteindre leur développement et ce
sont eux qui ont la vraie considération de tous les partenaires. A bon
entendeur, salut.
En
tant que vétéran agricole
Ouagadougou,
le 02 Décembre 2018
TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur
honoris causa de l’Université de Gembloux,
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