dimanche 2 décembre 2018

CE QUE JE PENSE DE LA 5ème EDITION DU SALON INTERNATIONAL DU TEXTILE AFRICAIN


Du 28 au 30 novembre 2018 s’est tenue à Ouagadougou, la 5ème édition du Salon International du Textile Africain (SITA). En plus du représentant de l’Union Africaine, il y a eu la participation des représentants de plusieurs pays africains à ce salon. Plusieurs ONG et associations ont également pris part à cette rencontre. J’ai été invité en tant qu’agriculteur et ancien président de l’Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB). Je remercie donc les organisateurs qui ont maintenu le cap depuis la 1ère édition.
J’ai été fier de ce salon après ma participation à un panel de discussion dans lequel j’ai beaucoup appris. J’ai aussi eu l’occasion de livrer mes impressions en tant qu’acteur. Je me permets donc de donner quelques impressions et préoccupations qui m’ont marquées sur les sujets débattus. Un des sujets débattus était les enjeux de la production et de la transformation, leurs effets socio-économiques et leurs effets sur la santé humaine et sur l’environnement. Dans l’histoire, nos parents ont cultivé le coton sans intrants importés. Ils l’ont transformé pour s’habiller et dans cette transformation, la teinture était locale. Pour eux, c’était une nécessité de travailler, se nourrir et s’habiller. L’histoire nous dit que nos parents exportaient même la cotonnade dans les pays voisins. Je sais que dans des années 60, la population du Burkina ne dépassait pas 5 millions. Aujourd’hui, nous sommes plus de 18 millions qu’il faut nourrir et habiller. Dans la recherche du développement, plus de 5 millions de burkinabés sont à l’extérieur. Nous agriculteurs burkinabés, nous avons comme vision de nourrir les 18 millions et faire du développement ; c’est ce qui nous a amené à un moment à produire jusqu’à plus de 700 000 tonnes de coton. Plusieurs pays africains produisent également le coton et tout ce coton africain est essentiellement exporté. Le constat est qu’en Afrique, la production traine les pieds. Même si tout le coton africain produit actuellement devait être transformé en Afrique, il ne suffirait pas pour habiller la population africaine. Dans cette production actuelle, nous avons été obligés d’utiliser des intrants importés et le peu de transformation qui est fait sur le coton se fait également souvent avec des produits importés. Certains de ces produits ont été trouvés nocifs à la santé humaine et à l’environnement. En tant qu’acteurs, nous avons donc été interpellés pour cette pollution. Ma réponse a été que nous utilisons ce qu’on nous propose comme intrants et si nous avions le choix entre des intrants qui polluent et ceux qui ne polluent pas, nous choisirions aisément d’utiliser ceux qui ne polluent pas et qui nous permettent d’augmenter notre production. Nous attendons tout matériel utile qui peut nous permettre d’augmenter notre production et d’augmenter nos revenus en préservant notre santé et notre environnement. C’est plutôt les intellectuels africains qui sont interpellés sur ces sujets, nous les avons mis à l’école pour nous éclairer. Moi, malgré que ma limite à l’école était le primaire, quand je faisais une erreur, ma mère me disait : « Pourtant on t’a mis à l’école ». Aujourd’hui nous en avons qui y ont fait plus de 20 ans avec tous les grands diplômes que l’on peut avoir ailleurs. S’ils fuient leur responsabilité, de grâce, qu’ils ne mettent pas le tort sur leurs parents qui les ont mis à l’école. Être utile pour ses parents fait partie de la tradition africaine.
Il y a eu également un sujet sur les souffrances de la femme africaine. Pour certains, c’est elle qui nourrit ses enfants toute seule et c’est elle qui paye la scolarité de ses enfants pendant qu’elle ne dispose pas de terres. Moi en tant qu’acteur, je n’étais pas d’accord avec cela. Je n’aime pas qu’on tienne des langages pour faire plaisir à certains partenaires. A mon avis, si un homme et une femme vivent ensemble, c’est parce qu’ils s’aiment et qu’ils aiment tous leurs enfants. Dans notre contexte, la femme quitte sa famille pour rejoindre celle de l’homme. Disons tout simplement qu’il y a eu une désorganisation de la famille africaine où elle est très souvent réduite à la famille nucléaire c’est-à-dire à l’homme, sa femme et leurs propres enfants, ce qui oblige tout le monde à la tâche dans leur exploitation. C’est là également qu’il faut dire que nos intellectuels et les religions n’ont pas bien joué leurs rôles. Nos ancêtres avaient une sociologie qui trouvait des solutions aux problèmes. Mon père m’a dit par exemple que la parenté à plaisanterie était très souvent développée suite à des conflits entre deux entités à la fin desquels on signait un pacte pour qu’il n’y ait plus de bagarre. Dans la zone cotonnière au Burkina Faso, les hommes avec leurs revenus ont construit de belles maisons dans lesquelles ils habitent avec leurs femmes. En plus de cela, je fais partie de ceux qui ont acheté des moulins pour leurs femmes. Je préfère donc que nous positivons le débat par de bons exemples. Si au Canada ou en France, les hommes sont dans leur exploitation avec leurs femmes et leurs enfants, nous travaillons également à faire la même chose ici. Dans certains pays, les hommes se marient entre eux, nous agriculteurs africains, nous ne sommes pas à ce niveau et nous ne le rêvons même pas. Dans certaines traditions africaines, on vous dira même que cela peut empêcher la pluie de tomber.
Le dernier sujet qui m’a préoccupé, c’est celui du rôle de nos institutions africaines et de nos Etats. Partout en Afrique, près de 80% de la population est rurale. L’espoir du développement reste la production et la transformation. Et cela est conditionné par une production de qualité et de quantité. Nous n’allons pas inventer la roue, tous les continents sont passés par là. Dans certains pays développés, les ruraux ne dépassent pas 5%. Je préfère que l’on créé de l’emplois par la production et la transformation pour la jeunesse que de la laisser partir mourir dans la mer ou être utilisé dans des rébellions. Certaines statistiques disent que 60% des terres cultivables restantes dans le monde sont en Afrique. Je ne souhaite pas que ces terres soient un jour vendues à des étrangers comme c’est le cas pour l’or, le diamant, le pétrole etc. Dans ces cas, les yeux sont fermés sur la pollution et la destruction de l’environnement, et c’est encore nous les ruraux qui en souffrons le plus, mais on appelle cela partenariat. Ces mêmes partenaires refoulent notre jeunesse dans leurs frontières. Il ne faut surtout pas que nos institutions et nos politiques se disciplinent devant leurs partenaires en oubliant leurs populations et de n’aller vers eux que lors des élections. Il existe des exemples de pays dans le monde qui ne se sont pas laissés faire pour atteindre leur développement et ce sont eux qui ont la vraie considération de tous les partenaires. A bon entendeur, salut.
En tant que vétéran agricole
Ouagadougou, le 02 Décembre 2018
TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,

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