jeudi 5 janvier 2012

Ce que je pense de la formation de l’Université du Coton de l’AProCA

Sur financement UEMOA accompagnée de l’Union Européenne, du 26 au 31 décembre 2011, des producteurs de coton membres de l’AProCA et leurs techniciens, se sont rendus à Kolda au Sénégal sur invitation de l’AProCA pour une formation université du coton (UdC). L’Université du coton est un outil de l’AProCA. Elle est crée pour assurer la formation continue (des producteurs de coton, des leaders, de leurs dirigeants, leurs techniciens, des cadres dirigeants et techniciens des sociétés cotonnières), la formation initiale, la communication, l’information et la capitalisation des expériences. La présente session concernait les leaders, les cadres dirigeants et les techniciens des organisations professionnelles agricoles. Cette idée émane du constat que l’AProCA a fait de l’écart que la filière cotonnière africaine avait pour se mettre au diapason des autres filières cotonnières du monde et pour se créer un professionnalisme propre au style africain. La majorité des producteurs de coton africains sont non seulement des petits producteurs familiaux de 2 à 10 ha mais aussi majoritairement non instruits. Toutes ces raisons ont poussé l’AProCA à choisir comme outil essentiel de développement, la formation pour un professionnalisme. C’est dans cette optique qu’un partenariat a donc été créé depuis 2008 entre l’université polytechnique de Bobo (UPB) et l’AProCA. A travers cette université, l’AProCA souhaite faire participer toutes les universités de ses pays membres. L’AProCA a déjà fait deux sessions de formation continue de l’université du coton à Bobo au Burkina et à Ségou au Mali auxquelles des professeurs d’universités africaines ont pris part. Mais ces deux sessions de formations ont été assurées par HEC, une université française. Cela à donner le ton à cet outil de l’AProCA.

Cette fois ci, l’université polytechnique de Bobo abritant l’UdC a assuré la présente session de formation. Pour cette formation, l’UPB s’est d’abord rendue dans des pays membres de l’AProCA pour connaître les vrais besoins actualisés des producteurs de coton et des sociétés cotonnières afin de formaliser des thèmes et élaborer les modules de formation. Dans la série de problèmes citée par les producteurs, le choix des thèmes de cette formation s’est porté sur l’esprit coopératif, le leader, la gestion des conflits, la négociation des prix et la communication.

Pour le premier thème qui est basé sur la coopérative, ma compréhension est que l’université polytechnique de Bobo pense que l’obligation de s’organiser est donnée aux producteurs de coton africains parce qu’ils sont de petits producteurs. Ce qu’ils étaient tous déjà. Mais, la formation devait se focaliser sur la façon de vivre en symbiose avec toutes ces structures. Il faut se dire que dans ces pays, que l’appellation de ces structures diffère d’un pays à un autre. Elles s’appellent groupements ou unions pour certains ou coopératives pour d’autres…Mais ce qui est important, c’est que tout le monde a décidé de travailler ensemble. Or, Travailler ensemble, c’est coopérer puisque dans le mot coopérative, il y a bien coopérer. Selon les professeurs de l’UPB, l’esprit coopératif est incontournable pour ce secteur mais cela ne va pas sans les règles. Les règles d’une coopérative doivent être comprises par les acteurs membres de la coopérative ; le fonctionnement doit être déterminé par eux. Mais on sait qu’il y a des éléments fondamentaux de la coopérative qui constituent la libre adhésion, l’autonomie de la structure, la vision commune pour l’intérêt de tout le monde. La vision d’une coopérative est différente de l’esprit capitaliste pur et dur c'est-à-dire gagner et toujours gagner pour toi seul. Dans la coopérative, il faut se dire que tout le monde n’a pas le même niveau de production mais tout le monde doit bénéficier du même traitement selon son niveau. Par exemple, ce n’est pas parce que quelqu’un est le plus grand producteur qu’il peut avoir deux voies de vote. Mais, l’accent est plutôt mis sur le partage d’expériences ; le savoir faire et le savoir être partager. Ce n’est non plus du social où on peut aller faire de l’aumône avec les revenus. Une coopérative doit être utile dans son terroir à travers son professionnalisme et sa vision de développement pour tout le monde.

Quant au sujet des dirigeants, selon ce que j’ai compris de la formation, une coopérative doit toujours avoir ses dirigeants élus par leurs pères. Le choix de ces dirigeants doit se faire sur la conduite propre à chacun, sur leur capacité de diriger. Les membres doivent chercher à vérifier l’effectivité de ces caractères en eux avant de les élire. Parmi ces élus, il doit y avoir un ou des leaders. Il faut se dire que tout responsable d’organisation n’est pas forcement leader. Parmi les responsables d’organisation, il y a des gens qui peuvent exécuter tout ce que l’assemblée décide, mais ils ne sont pas créateurs ni innovateurs. Lorsque l’assemblée se trompe aussi de choix de responsable, celui-ci peut donner l’apparence d’écouter l’assemblée et de respecter les textes, mais dans la pratique, il fait carrément le contraire en se servant et en se faisant servir.

A cause de l’analphabétisme, il arrive également que certains élus ne soient pas de mauvaise volonté mais seulement limités en connaissance. Tout cela montre que dans une coopérative il faut un leader, un visionnaire, quelqu’un qui a une capacité d’anticipation, qui se soucie de l’intérêt de tout le monde, qui ne dore pas quand un membre de la coopérative n’a pas ce qu’il voulait que la coopérative lui fasse. Une des questions sur le leader posée aux professeurs était, « est-ce qu’on nait leader ou on devient leader »? La réponse des professeurs était que tous ceux qui étaient venus à cette formation étaient des leaders ; il faut tout simplement chaque fois chercher à respecter et à appliquer les qualités d’un leader. Depuis le jeune âge, lorsque les enfants jouent ensemble, on sent chez certains une certaine capacité et un esprit d’éveil par rapport aux autres. Eux en tant que professeurs, ils voient aussi même qu’à l’école l’esprit de leader se fait sentir parmi les élèves et les étudiants. Donc être leader c’est avoir une qualité exceptionnelle apprécié par tout le monde.

Le complément que moi François je donne, en tant que personne âgée à la réponse à cette question, c’est que la base du leader c’est l’intelligence d’abord. Nous savons tous naturellement que tout homme nait avec sa capacité intellectuelle. Mais nous savons que certains hommes ont dix fois plus de capacité intellectuelle que d’autres. C’est comme un homme qui nait court de taille et un autre homme grand. Un homme peut être de teint noir et l’autre de teint clair. L’intelligence est également naturelle par rapport à un homme. Maintenant, selon que l’intelligence est forte ou moyenne, c’est l’éducation que l’homme reçoit dans sa famille, dans son environnement, dans son instruction qui donne l’orientation à cette intelligence. Si un homme intelligent vit dans un milieu où tout le monde est voleur, si l’éducation ne lui permet pas de prendre conscience, de lui montrer que c’est une mauvaise logique, son environnement de voleurs peut le transformer en champions de voleurs parce qu’il est super intelligent. Donc un leader, c’est quelqu’un naturellement doué d’intelligence, qui a vécu dans un environnement qui lui a donné des leçons et que l’éducation lui a permis de faire la part des choses.

L’assemblée d’une structure peut et doit repérer des hommes de cette capacité. Choisir des hommes de cette capacité, ce n’est pas un privilège qu’on leur accorde. On veut plutôt qu’ils réfléchissent pour tout le monde. C’est une charge en plus qu’ils aiment parce que leur intelligence leur permet de comprendre qu’ils ne peuvent pas réussir sans tout le monde avec eux. Ils ne peuvent être à l’aise que dans la satisfaction de tout le monde. On nait avec l’intelligence pour être bon leader mais on devient leader par son éducation de base, son environnement et sa formation.

Après les échanges sur le leader et le leadership, les formateurs m’ont demandé de relater l’historique de la création de l’AProCA et de l’université du coton.

En effet, c’est à travers un outil qu’on appelait « l’observatoire coton » dans les années 1990 que certains représentants de coton parmi lesquels j’étais, se sont découverts à travers les différentes rencontres. Nous avions des partenaires européens qui nous accompagnaient. Un moment, nous avons voulu avec ces partenaires transférer cet outil observatoire coton en Afrique. Le siège était prévu à Boekon au Benin. Cette première initiative n’est pas aller loin mais les producteurs des différents pays s’étaient découverts. Quand l’UNPCB a lancé l’appel contre les subventions sur le site du père Maurice Oudet à Koudougou au Burkina Faso, les producteurs des autres pays l’ont soutenue et cet appel a été relayé par nos gouvernements. Le sujet est allé à l’OMC et a été dans l’ordre du jour à Cancun en 2003. Ce sujet de nos Etats sur lequel l’OMC n’a pas trouvé de consensus a été un échec pour l’OMC. Nous producteurs de coton présents à Cancun, nous avons fait une forte médiatisation qui a permis qu’on sache que les producteurs de coton africain existent. J’ai eu l’occasion d’être filmer par une télévision française qui s’appelle canal+. Elle avait titré ce film « un homme intègre à Cancun » ; c’est par la suite que les producteurs de coton africains ont vu la nécessité de mettre une structure africaine de producteurs de coton. Nous avons donc créé l’AProCA en 2005 à Bamako après une première rencontre à Cotonou pendant laquelle les producteurs ont payé leurs transports pour venir jeter les bases de cette structure en fin 2004. Après Bamako, nous sommes allés pour les négociations de Hong-Kong et depuis lors l’AProCA s’efforce à être dans toutes les grandes instances où l’on parle de coton.

Quant à l’université du coton, l’idée est née à partir du plan d’action de l’AProCA dont l’essentiel était basé sur la formation. En accord avec nos partenaires FARM et HEC avec lesquels nous avons eu les premières formations, l’AProCA a décidé d’appeler cet outil « Université du Coton ». Nous avons décidé cela parce que nous sommes conscients que tous les peuples qui se sont développés ont toujours été accompagné par leurs universités. Une autre raison est qu’à l’université on pense, on forme et on crée pour des acteurs qui vont se mettre à l’action du développement. Nous, nous sommes déjà des acteurs à l’œuvre mais nous avons des insuffisances en savoir, savoir être et savoir faire. C’est dans ce sens que nous avons voulu travailler avec toutes les universités africaines dans tous les pays où nous sommes présents et même là où nous ne sommes pas présents pourvu que cette université accepte le partage entre AProCA et ses partenaires. Nous savons que travailler avec des acteurs de terrain permet à des professeurs d’université de bien tester leurs résultats. En Thailllande, les transformateurs du textile sont en collaboration directe avec les universitaires et c’est eux qui créent la mode pour les entrepreneurs. Nous savons également que c’est la créativité qui entretient une entreprise et qui la fait évoluer. Aux Etats-Unis, l’université de Lobok est située en plein milieu du coton au Texas et en bon terme avec les grands fermiers américains. Quelqu’un m’a même dit qu’il y a des « chasseurs de cerveau » aux Etats-Unis qui suivent les universités pour connaître les meilleurs élèves et les recommander aux grandes entreprises après leur formation universitaire. On me dit qu’à la soutenance de l’actuel président américain Barack Obama, plusieurs entreprises étaient présentes pour le récupérer dans leurs entreprises parce qu’ils avaient découvert qu’il était quelqu’un d’exceptionnel. Cela démontre tout l’intérêt qu’il peut y avoir entre une université et des acteurs. C’est pourquoi nous, nous avons dit : la roue n’existe pas, nous allons la créer. Aujourd’hui les producteurs membres de l’AProCA ont un contact direct avec l’université polytechnique de Bobo et ont également un contact avec toutes les universités de ses pays membres. Nous sommes sûrs que cela va porter fruit. Les professeurs de L’UPB ont appelé l’histoire de l’AProCA et de l’UdC « vision de leader ».

Le sujet de négociation était le troisième sujet que les professeurs ont choisit. Ce que j’ai compris des professeurs est que la négociation se fait entre deux acteurs ou deux structures. Dans le cas des structures de producteurs de coton, ils sont dans des groupements où le début de la production commence par le crédit des intrants souvent fourni par les sociétés cotonnières. Ce crédit est payé à la vente du coton. Le producteur veut qu’à la récolte, il puisse payer ses crédits et avoir de l’argent pour sa famille. Donc, que ce soit dans le prix des intrants ou dans le prix du coton, les deux entités sont amenées à discuter. Et là, il faut souvent que chaque acteur ait son outil et sa capacité de négociation. Pour les intrants, les difficultés se posent plutôt dans la manière, la méthode et la période utilisée pour payer les intrants. C’est à ce niveau qu’il peut y avoir les négociations entre les producteurs et la société cotonnière. Il y a eu un moment dans la filière cotonnière où le prix des intrants montait pendant que celui du coton baissait sur le marché mondial. Cet effet ciseau entre le prix de l’engrais qui monte et le prix du coton qui baisse, a créé de sérieux problèmes entre les producteurs et les sociétés cotonnières. Certains Etats étaient obligés de subventionner les intrants à la faveur des producteurs. Sur ces subventions, la question suivante a été posée : si nos gouvernements subventionnent l’engrais, cela ne contredit-il pas notre combat par rapport aux subventions américaine et européenne ? Nous avons répondu en disant qu’il n’y a pas d’agriculture prospère sans subvention. Mais ce n’est pas les mêmes subventions, parce que celles que nous décrions, sont des subventions à l’exportation du coton car dans ces grands pays, il y a plusieurs niveaux de subventions dont celui des intrants et même le matériel agricole. Si malgré toutes ces subventions les producteurs occidentaux vendent le coton à perte sur le marché mondial, leurs gouvernements leurs payent le manque à gagner alors que ces paysans ont dépassé le seuil de pauvreté.

Par rapport aux intrants, Les professeurs proposent une commande groupée des pays producteurs de coton, chose qui pourrait amoindrir leur coût. La fabrication de certains intrants en Afrique pourrait aussi réduire le coût des intrants car leur transport occupe une partie importante des coûts. L’AProCA devrait travailler à tout cela.

Quant à la négociation sur le prix du coton, chaque pays a créé un système de fixation de prix. Ce prix peut être décomposé en un prix planché au début de la campagne agricole pour permettre aux producteurs de décider et en un prix d’achat complémentaire après la vente du coton. Dans ce système décomposé de fixation de prix, le système burkinabè a été cité comme exemple avec un fond de lissage qu’on peut mettre de côté lors des bonnes années du marché mondial et lui faire appel lors des mauvaises années du marché mondial. Cela peut permettre aux producteurs de ne pas subir en plein fouet une brusque baisse du prix du coton sur le marché mondial. Ce système burkinabè selon les professeurs, peut permettre d’éviter beaucoup de négociations si tout le monde est au même niveau d’information, de compréhension et en appliquant toutes les règles prévues dans un professionnalisme éclairé.

Dans les cas où les systèmes sont négociants, les professeurs recommandent aux agriculteurs au niveau national, qu’il y ait une cohésion, qu’ils sachent à quel niveau il faut durcir sa position et à quel niveau il faut céder. Pour réussir une négociation, il faut maitriser son sujet.

En négociation, si on s’y connaît, on peut gagner mais il n’est pas évident à tout moment de tout gagner et un bon négociateur doit savoir cet équilibre. Et les négociateurs qui ne tiennent pas compte de cet équilibre, peuvent créer des conflits. D’où la nécessité d’apprendre à gérer les conflits. Cela peut être valable non seulement entre les producteurs et leurs sociétés cotonnières mais entre les sociétés cotonnières et les grands négociants du coton dans le monde. La négociation, c’est un art ; c’est pour les hommes éclairés, c’est également pour les hommes courageux pour prendre des décisions au bon moment.

Sur le 5e sujet concernant la communication, ma compréhension des échanges de la formation me permettent de dire que les professeurs ont trouvé que c’était le plus grand outil qui permet la cohésion d’un groupe. Ils pensent que nous sommes tous de bons communicateurs parce qu’ils savent que nous sommes tous mariés et pour se marier il faut savoir communiquer. Si on sait que la communication c’est pour se faire mieux comprendre avec celui qui en face, avec celui avec lequel on vit ou on veut vivre, il y a néanmoins des dispositions à respecter pour mieux communiquer. La communication a également besoin d’un meilleur comportement pour faire passer le message. Communiquer c’est avoir aussi la capacité et la disponibilité d’écoute de l’autre. La communication, ce n’est pas convaincre les autres, en d’autres termes la communication, ce n’est pas de la politique mais plutôt communiquer, c’est un partage d’informations pour que tout le monde soit au même niveau de compréhension et d’information. Quand, dans une structure tout le monde n’a pas l’information ou lorsqu’on cache ou politise l’information, cela ne permet pas une décision juste et collégiale d’une structure. Une information mal donnée est une bombe à retardement. Selon les professeurs, beaucoup d’outils de communication existent aujourd’hui pour faciliter la communication. On peut citer la radio, le téléphone, le mail et aussi même les moyens de déplacement. Pour eux, communiquer et bien communiquer, c’est vraiment la vie d’une structure.

A la fin de cette formation à Kolda, le président Sabaly Moussa de l’AProCA était heureux de la disponibilité des professeurs de l’université polytechnique de Bobo et également pour les autres professeurs venues des universités différentes de Bobo. Il les a félicités d’avoir accepté de se rabaisser au niveau du petit producteur africain. Pour lui, ce n’était pas évident que des professeurs acceptent cela. Le président Sabaly a dit qu’il sait que l’Afrique va les reconnaitre dans cette œuvre. Il dit qu’ils sont des professeurs africains pionniers à montrer cette disponibilité. Il souhaite que le coton africain prospère avec leur contribution à travers ces formations. Selon le président de l’AProCA cette formation est un précieux outil de lutte contre la pauvreté car le savoir c’est le pouvoir.

                                                                Ouagadougou, le 03 janvier 2012

                                                               TRAORE B. François,

                                                                http://www.francoistraore.blogspot.com/

                                                                 Président d’honneur de l’AProCA,

                                                                  Docteur honoris causa de l’université

                                                                  de GEMBLOUX.

                                                                   (+226) 70 95 34 45

                                                                    (+226) 78 50 16 25



Aucun commentaire: