C’est avec plaisir que je
me permets de vous relater un exemple de vécu dans une coopérative dans
laquelle j’étais membre. Mais avant tout, je vous informe que je suis plutôt
orateur, je n’ai eu que le certificat d’études primaires (6 ans d’école
correspondant au CM2). Cela me permet de parler le français mais écrire, ce
n’est pas ce que je connais le mieux. Juste après le CM2, mon père a perdu la
vue, et comme j’étais son premier garçon, j’ai quitté l’école pour prendre la
relève à 14 ans. Cela c’était au Sénégal. Comme j’avais des frères et des
sœurs, j’ai commencé depuis lors à gérer des hommes, chose qui signifie aimer
tout le monde et aimer leurs intérêts tout en sachant qu’on avait notre père et
notre mère à entretenir. Mais ils nous avaient tous formés à travailler dur et
à être honnêtes. Ils nous avaient aussi montré l’exemple de collaboration avec
les voisins qu’ils trouvaient importants dans la vie d’un homme. Nous sommes
revenus au Burkina Faso du Sénégal en 1973. Après 6 ans dans mon village
d’origine qui s’appelle Konkuy, province de la Kossi (Nouna) dans la Région de
la Boucle du Mouhoun, j’ai migré dans un autre village à près de 150 km, Sogodjankoli
dans la province des Banwa toujours dans la Boucle du Mouhoun. La raison était
que du coton était cultivé dans cette zone, ce qui permettait aux paysans,
après la vente, d’avoir de l’argent et d’avoir des céréales pour se nourrir.
A Sogodjankoli, après
quelques années de culture de coton, nous nous sommes vus capables de créer un groupement.
Car si vous êtes en groupement, vous avez une autonomie de gestion et selon la
capacité des uns et des autres, vous pouvez avoir le matériel et les intrants
que vous voulez. Alors que si vous n’étiez pas en groupement, c’est chacun
individuellement qui faisait les démarches à plus de 20 km pour aller chercher
les intrants dans un magasin géré par un agent du service public de
l’agriculture. S’il doutait de vous, c’est lui qui estimait ce qu’il pouvait
vous donner. La règle au Burkina était
que chaque village pouvait avoir son groupement. Mais l’activité principale des
groupements était autour du coton dans cette zone. Avec la maitrise que j’avais
du matériel agricole qui faisait de moi un exemple parmi eux, un bon
producteur, sachant lire et écrire, j’ai été élu secrétaire général de
groupement et cela en 1980. Il fallait recenser les membres et leurs besoins et
les envoyer à l’agent de l’agriculture qui vous envoyait la totalité au nom du
groupement. Après les récoltes, on était chargé de peser le coton nous-mêmes
sur une bascule au village et pendant cette pesée, nous faisions la déduction
du crédit de chacun. Le coton était évacué par des camions de la société cotonnière.
Après la pesée sur leur pont bascule, la société faisait le cumule du poids
total du groupement. En déduisant le crédit total de votre groupement, elle
vous renvoyait l’argent. Au niveau du groupement, c’était à nous de voir la
quantité de coton que chacun avait produit et mis sur le marché, déduire son
crédit et lui remettre son argent. Pour avoir mené ces activités de recensement
et de pesée par le groupement, à la fin de la campagne cotonnière, la société
vous payait 5 000 francs par tonne de coton produit par le groupement pour
l’effort fournie. En effet, dans les villages où il n’y a pas de groupements,
ce sont les sociétés cotonnières et leurs agents d’agriculture qui font tous
ces travaux. Or ils avaient souvent des difficultés à maitriser les
performances (crédits et productions) de chaque producteur d’un village. Ils
avaient donc aussi un avantage dans la création des groupements. Ils n’avaient
plus affaire aux individus mais au groupements dont les membres se
connaissaient tous bien.
En 1982, les membres du
groupement ont trouvé en moi quelqu’un qui avait la capacité de les conduire et
j’ai été élu président. Quand j’ai pris la tête de ce groupement, ma principale
préoccupation était de permettre au groupement d’être toujours bien géré en
prenant en compte les préoccupations de tous les membres. Les adhésions à la
culture du coton ont augmenté dans le groupement, ce qui a augmenté la quantité
de coton produit par le groupement de Sogodjankoli. A travers le groupement,
comme chacun pouvait avoir un crédit de matériel agricole, beaucoup avaient
obtenu du matériel par ce canal, certains en obtenaient même au comptant avec
les revenus de leur coton. L’exigence du groupement a donc augmenté la capacité
de réflexion et d’analyse des membres. La production de certains a triplé alors
qu’avant le groupement, près de 90% des producteurs n’avaient que la petite daba.
Comme j’avais appris dans ma famille à aimer les intérêts de tout le monde,
nous avons donc fait des programmes de réunions périodiques qui nous
permettaient de réfléchir au présent et au future. Comme les rémunérations
données par la société cotonnière (5000 francs CFA/tonne) étaient bien gérées,
nous avons décidé de construire une école primaire. Le village de Sogodjankoli
n’avait ni école, ni centre de santé. La responsabilité m’a été confiée pour
faire les démarches et obtenir l’autorisation. En 1990, nous avons obtenu
l’autorisation et nous avons entamé la construction de cette école de 3 classes
en faisant appel à un maçon que nous avons payé et la main d’œuvre non qualifiée
était les membres du groupement. Cet effort physique des membres du groupement était
gratuit. Nous avons seulement acheté le ciment et les matériaux de construction
(tôles, ferraille, etc). Le reste des agrégats étaient fournis par nous-mêmes.
Quand nous avons fini de construire cette école de 3 classes plus un magasin,
nous n’avions plus assez d’argent alors qu’il fallait construire trois (03)
logements pour les enseignants. Comme nous avions une terre solide dans ce
village, nous avons décidé de le faire en banco tôlé. Dans ma vie, j’avais déjà
été manœuvre de maçon, j’ai décidé d’être le maçon pour ces trois (03) bâtiments
car avec le banco, le risque est réduit et cette fois-ci les membres du bureau
étaient les manœuvres et moi le maçon. Aucun de nous n’était payé pour cela.
Cela nous a coûté moins cher car il n’y avait que le matériel à payer. Comme
nous tenions à l’ouverture de l’école, nous avons mis le reste de l’argent dans
les table-bancs. Après vérification de tout ce que nous avons fait, l’administration
publique n’a pas hésité à nous envoyer les enseignants. Après quelques années,
c’est l’administration qui a elle-même complété l’école à 6 classes et a aussi
construit des logements. Cela ayant donné une visibilité au village, sur notre
demande, l’administration a construit un poste de santé primaire. De nos jours,
dans presque toutes les familles, il y a un agent de l’administration qui est
sorti de cette école. Les enfants qui n’ont pas pu continuer sont devenus la
relève pour diriger le groupement villageois.
Pour conclure, je dirai
que le développement dans les communautés passe forcément par les coopératives
et cela dans tous les domaines. Je précise au passage qu’en 2012, les Nations
unies m’ont demandé d’être membre d’une commission qu’elle ont dénommée « les
ambassadeurs pour l’année des coopératives 2012 ». La mission attribuée à ses
ambassadeurs selon leur expérience, consistait à véhiculer l’idéologie des
coopératives comme véritable outil de développement et de lutte contre la faim
aux politiques, à la société civile et aux partenaires partout où ils ont
l’occasion.
Pour qu’une coopérative
marche, il faut forcément un bon choix des responsables et cela doit être basé
sur la qualité des hommes qui doivent prendre en compte l’intérêt de tous les
membres et cela en impliquant tous les membres. Avec cette expérience, dans les
années 90, nous avons redynamisé les structures de producteurs de coton du
Burkina dans tous les villages, puis créé des structures intermédiaires, union
départementales, provinciale. En 1998, nous avons créé l’Union Nationale des
Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) dont j’ai été le premier président à sa
création. Cette union est devenue interlocuteur de tous les producteurs de
coton pour a défense de leurs intérêts face l’Etat, la société cotonnière et
les autres partenaires d’accompagnement. Et quelques années après, nous sommes
devenus premiers producteurs de coton africain. Nous avons vu ici que si une
coopérative est bien dirigée, il y a forcément une contagion positive. Vous
pouvez aussi vous faire mieux écouter par l’administration et même d’autres
partenaires à travers votre engagement.
Merci de m’avoir associé
à cette activité sur les coopératives qui constitue un sujet phare pour le
développement.
Ouagadougou, le 02 Octobre 2019
En tant que vétéran agricole
TRAORE François
Agriculteur
burkinabé
Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux
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