Près de 80% de la population burkinabè est rurale, nos activités principales sont
l’agriculture, l’élevage et l’artisanat. Il est reconnu également que le paysan
burkinabé est un travailleur. Mais le constat est que dans les boutiques, en
milieu rural ou en ville, tous les
produits consommables sont à près 90% importés. Cela est dû au fait que les
rendements des agriculteurs et des éleveurs sont très faibles et également au
fait que les produits ne sont pas transformés et adaptés pour la consommation
nationale. A mon avis, cela doit changer et si nous décidons de le changer,
cela nécessite l’organisation des acteurs sur toutes les chaines de production,
la complémentarité et la discipline de tous les acteurs pour que chacun joue
correctement son rôle. Je profite vous expliquer la situation dans laquelle la
filière coton qui est prise pour exemple en terme de structuration des acteurs,
se trouvait avant sa structuration; la crise cotonnière des années 90 nous a
obligé à réfléchir. Nous les producteurs avons dénoncé, à l’époque, la mauvaise
gestion qui se trouvait dans les groupements villageois. Dans ces groupements,
le nombre de producteurs était estimé sans précision, c’est le village qui
constituait le groupement, les intrants également étaient estimés. Il n’y avait
pas de collaboration professionnelle entre les groupements des différents
villages. Le partenaire qui était la société cotonnière n’avait de contact avec
les producteurs qu’au moment de la commercialisation du coton, des instances de
discussion n’existaient pas entre les deux entités.
En 96, après d’intenses discussions entre producteurs,
représentants de l’état et société cotonnière, nous, producteurs avons proposé
la création des groupements de producteurs de coton. Les producteurs devaient
s’identifier et créer librement leurs GPC, les critères de choix des membres du
bureau étaient qu’il fallait être bon producteur et bon gestionnaire crédible, ce
sont eux qui décidaient de leurs nombres et les surfaces de chacun étaient
connues. Par la suite, nous avons également proposé les comités de crédit, ces
comités de crédit permettaient de lier le crédit à la capacité de production de
chaque individu. Cela nous a facilité la gestion de la caution solidaire. La caution
solidaire veut dire que les membres du GPC sont collégialement responsables du
crédit, si un GPC prend un crédit d’intrants (engrais, pesticides, semence…) de
3 millions, et que la valeur du coton du
GPC a couté 10 millions, la société remet les 10 millions à la banque, celle-ci
va trancher les 3 millions et remettra les 7 millions restants au GPC . Les
dirigeants du GPC récupèrent ces 7 millions et les repartissent en faisant la
même déduction de la valeur du crédit de chaque producteurs et lui remettent
son dû. C’est après avoir mis les GPC que nous avons mis en place les unions
départementales, provinciales et l’union nationale en 98. Celles-ci sont des
interlocuteurs selon la structuration hiérarchique et techniques de la société
cotonnière et c’est après tout cela qu’il y a eu la création de l’inter
profession qui regroupe les producteurs et les société cotonnières, c’est là où
se fixe le prix du coton et celui des intrants et ce sont les sociétés qui se
chargent de la commande et de l’achat des intrants, de la vente du coton. La
quantité des intrants à commander c’est le cumule de tous les résultats de
comités de crédit, ce n’est pas de l’à peu près. L’inter profession est en
partenariat avec la recherche pour leur assurer la qualité des intrants
(engrais, pesticides, semences …). Pour ce qui est de la fixation du prix du coton,
il est lié au prix sur le marché et à la fluctuation du Dollar et comme le
producteur du coton veut un prix avant de semer le coton, il ne veut pas que la
fluctuation du prix du coton sur le marché mondial et celle du Dollar l’empêche
d’avoir son prix avant de semer, nous avons donc créé au sein de l’ AICB un
système de fixation du prix dans lequel nous avons prévu un fond de lissage. Ce
système de fixation de prix, pour l’expliquer très simplement, c’est de partir
de ces fluctuations et trouver une moyenne de prix qui rassure le paysan pour lui permettre de semer et on lui payera
un complément après la vente de coton fibre si la vente a été bonne. Mais avant
de payer un complément, on prévoit de l’épargne selon un pourcentage donné,
cette épargne pourrait nous aider en cas de baisse drastique. C’est cette
épargne que nous appelons fond de lissage. Le respect stricte de cette
structuration et de cette collaboration nous amené de la 11ème place
de pays producteurs de coton à la place de 1er producteur de coton
africain. Vous comprendrez pourquoi je parle de discipline et de rigueur dans
les différents maillons.
De nos jours tout le monde est au courant du
disfonctionnement qui existe au sein de l’UNPCB. Il y a eu une ingérence
professionnelle et politique. Cette ingérence a eu un impact négatif sur la
professionnalisation et la crédibilité de l’UNPCB et ses démembrements. Comme le
poisson pourrit par sa tête, ce problème s’il n’est pas apprécié à sa juste
valeur et cherché à être solutionné, il va se multiplier et non seulement la
filière va subir de grands dommages mais elle ne pourra plus nous servir
d’exemple car on aura les même problèmes si on fait une copie de cette
structuration et on restera dans nos habitudes « un pas en avant, deux pas
en arrière ». C’est pour cela que si la structuration de la filière coton
doit être un exemple, il doit systématiquement y avoir une évaluation
périodique des différents maillons sans complaisance aucune.
L’UGCPA Dédougou (l’Union des Groupements pour la
Commercialisation des Produits Agricoles de la boucle du Mouhoun) est une
structure qui aide à produire et qui commercialise des produits agricoles. Les
producteurs membres de cette structure reçoivent individuellement des enquêtes
pour savoir leur surface de production de maïs, de mil, de sorgho, de niébé…
qu’ils prévoient. Par la suite un contrat est signé entre eux et l’organisation
pour leur octroyer un crédit de campagne et le producteur s’engage à donner le
surplus de sa production après déduction de la quantité de céréales consommée
dans sa famille. A la récolte, les producteurs livrent leurs céréales,
l’organisation qui est en bon terme avec les caisses populaires prend du crédit
avec celles-ci et paye le producteur après déduction de son crédit et c’est à
l’organisation de chercher le marché pour la vente de la quantité totale livrée
par le producteur. Après la vente, si bénéfice il y a, 2% sont retenus sur le
chiffre d’affaire et ces 2% constituent un fond de sécurité dont la mission
consiste à : assurer une couverture des producteurs qui auront eu des
problèmes pendant la campagne agricole qui les empêchent d’honorer leur
engagement ; combler tout déficit de commercialisation lié à la mévente
des produits agricoles mise en marche par l’union : ce qui peut contribuer
en cas de crise. C’est une autre forme de fond de lissage adaptée à cette
structure. Il arrive que cette structure signe des contrats avec la recherche
pour avoir des semences de base qui après la production donnent des céréales de
qualité homogènes avec un rendement assez élevé. Avec des céréales de qualité
homogène, cela est une opportunité qu’on peut saisir pour la transformation de
ces produits et la transformation suscite le marché et l’emploi. L’UGCPA dans
les années 2000 a vécu des problèmes de gouvernance, ce qui fait
qu’aujourd’hui, tout l’accompagnement technique est sur les contrats
d’objectivité. Les producteurs sont classés en trois catégories sous des
qualités bien définies : le respect des engagements, la fidélité, la
crédibilité, la qualité des céréales, leurs quantités et l’esprit de leader. Au
sein de l’organisation, il y a un système qui permet de mesurer tout cela. Avec
l’avènement de la loi OADA, elle a travaillé à créer des coopératives
simplifiées au niveau de la base qui vont changer l’UGCPA en une coopérative.
Ces deux exemples de l’UNPCB et de l’UGCPA sont des
structures dans lesquelles j’ai vécu et dont je suis toujours membre. D’autres
expériences existent au Burkina comme le warrantage … mais pour le moment, tout
cela n’a pas permis qu’on atteigne l’objectif visé qui est de nourrir
convenablement les burkinabé, augmenter le revenu, créé des emplois et
préserver notre environnement. On se rend compte que l’organisation et la
discipline de tous les acteurs maillons d’une chaine sont incontournables pour
l’augmentation des rendements car quand
les paysans sont organisés et disciplinés, cela facilite leur formation,
l’obtention du crédit qui augmente forcément le rendement en commençant par la
bonne semence. Au Burkina nous n’avons pas réussi la production et
l’utilisation parfaite de la semence améliorée et à la distribuer à tous les
producteurs. Cela est une lacune à corriger. Il faut aussi se dire qu’on ne
pourra jamais développer une filière avec un nombre de producteurs estimé. Tous
les membres d’une filière doivent être répertoriés et connus pour mieux les
aider à s’organiser et s’ils sont organisés dans leurs filières, ils peuvent
alors signer des contrats de fourniture, cela peut mieux aider à canaliser
l’accompagnement en matière d’intrants… de l’état qui est nécessaire à toutes
les filières . C’est ainsi que des outils de transformation peuvent être
installés car ils auront affaire à des produits de qualité homogène, c’est dans
cela que le partenariat publique-privé peut avoir son sens et cela est valable
pour l’agriculture, l’élevage et l’artisanat. Le désenclavement routier et
énergétique sont des outils incontournables pour la transformation et la
commercialisation. Et pour faciliter la commercialisation, il faut adapter la
production et la transformation à la consommation des villes et des campagnes
pour que les différents produits puissent être complémentaires pour enrichir et
compléter notre alimentation.
Pour ce qui est de la gouvernance, il faudrait que le
développement de l’agriculture et des filières se basent sur les 13 régions du
Burkina impliquant fortement le conseil régional sous la supervision des
gouverneurs, cela n’empêche pas que certaines filières se retrouvent dans
plusieurs régions. Comme les réalités socio-économiques et environnementales
sont différentes suivant les régions, on facilitera cette productivité et
organisation en nous basant sur des structures de la décentralisation dans
lesquelles tous les villages sont impliqués. La résolution du problème foncier
qui est obligatoire nous oblige à cela. Le problème de la dégradation de l’environnement
et des terres doit être une affaire prise en compte par chaque localité. Avec
le changement climatique, nous assistons à une mauvaise répartition des pluies,
à des inondations et à des sécheresses. La gestion de l’eau peut impliquer
plusieurs localités et si elle est bien gérée, elle peut être utilisée pour des
compléments aux arrêts brusques de pluies. Aussi les endroits inondables
pourraient être aménagés pour que l’eau qui est utile pour l’agriculture ne
soit plus un problème pour celle-ci. Il serait également important de
transformer le phosphate du Burkina en engrais granulés consommables la même
année. L’Ethiopie vient d’avoir un accord avec le Maroc et c’est le Maroc qui
va accompagner l’Ethiopie pour la fabrication d’engrais. Dans cette accord,
d’ici 2025, l’Ethiopie va être autonome en matière de fourniture d’engrais,
c’est cela que j’appelle les grands pays qui collaborent et qui osent. Je
conclu en disant qu’il n’est pas trop tard pour développer l’agriculture,
l’élevage et l’artisanat au Burkina pour sécuriser notre alimentation et le
PNSR est l’outil que le Burkina veut utiliser pour cela. Mais sachons que la
pression de la pauvreté nous oblige à aller plus vite, c’est pour cela que tout
chef de service qui sera chargé de travailler pour la concrétisation de nos
objectifs ne doit pas être nommé par
parenté ou complaisance mais recruté sur un contrat d’objectifs dont
l’évaluation implique le conseil régional et cette évaluation doit se faire au
moins deux fois par an pour recadrer les actions et /ou rompre le contrat.
Les pays qui avancent sont les pays qui ont compris la rigueur et le sens du
résultat. De toutes les façons, si nous ne sommes pas rigoureux, la pauvreté,
elle est rigoureuse.
En tant que
citoyen burkinabé
Ouagadougou, le 29 novembre 2016
François B. TRAORE
Agriculteur Burkinabé
Docteur honoris causa de l’Université de Gembloux,
www.francoistraore.blogspot.com
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