Du 11 au 13 septembre 2013, j’ai participé
sur invitation de l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires
(ONG IFPRI)
à une réflexion sur la vie des coopératives et la nouvelle technologie de
communication comme outil pour la sécurité alimentaire. A Dakar, l’ONG IFPRI
avait fait venir les représentants de coopératives de base de la plaine rizicole de la zone du
fleuve Sénégal et les représentants de coopératives de base d’arachide du
bassin arachidien de Kaolak au Sénégal. La philosophie de cette ONG est
d’accompagner les coopératives de base dans la gestion de leur vie
professionnelle. Son objectif spécifique est de les accompagner dans l’accès au crédit, dans l’approvisionnement en
intrants et dans la commercialisation de leurs produits.
La
première rencontre s’est tenue le 11 septembre 2013 avec la coopérative des
riziculteurs. Selon l’ONG IFPRI, des
études ont montré que le cycle de vie d’une coopérative comprend cinq étapes.
Premièrement, l’étape de la constitution de la structure, ensuite l’étape de la
mise en place des règles, l’étape de fonctionnement et l’étape de réussite. La
plus part des coopératives, après l’étape de bon fonctionnement (la quatrième
étape) couronnée souvent de réussites, peuvent retomber.
Ayant
travaillé dans plusieurs coopératives depuis les années 1980, j’ai eu
l’occasion de constater cette réalité dans plusieurs coopératives. Je me suis dit
que cela est dû à la capacité des coopératives regarder chaque fois en arrière
pour tirer leçon du passé des autres coopératives et utiliser ces atouts pour
ne pas tomber. Comme tous les participants étaient unanimes sur ce constat sur
lequel il fallait amener les coopératives invitées à faire leur propre
diagnostic afin de savoir à quel niveau elles se situent, découvrir leurs réussites
et leurs difficultés, voir comment se réadapter permanemment pour ne
pas être la coopérative qui retombe mais qui rebondie en faisant un réaménagement.
Ensemble
nous avons a fait l’historique de l’esprit coopératif au Sénégal. L’étape avant
colonisation qui était l’organisation interne dans les familles et dans les
villages a bien marché. Par exemple dans le cas du Sénégal, dans une grande
famille, les jeunes devaient travailler quatre jours dans la semaine pour leur papa et trois jours pour eux même. Les récoltes des quatre jours pour le papa
servaient à nourrir la famille et les récoltes des trois jours pour chaque
jeune suffisaient pour préparer l’autonomie financière du jeune. Cela veut donc
dire qu’on s’organise pour pallier à un problème.
Ensuite
il y a une l’étape des cooptatives au moment de la colonisation où le colon
avait besoin de l’arachide ; il fallait organiser les gens dans ce sens. Cette
organisation a permis à la population d’avoir des revenus. A la récolte le colon avait son arachide et les
agriculteurs avaient leur argent. Là également on résolvait un problème dans
cette organisation. C’est à cause de la recherche de cet argent que mon père et
ma mère avaient quitté le Burkina pour aller cultiver l’arachide au Sénégal.
La
troisième étape, c’est les coopératives après les indépendances. L’Etat sénégalais
qui avait hérité de cet outil a fait continuer cette production en créant
davantage de coopératives. Après cela la quatrième étape était les ajustements
structurels où tous les Etats africains devaient se désengager de
l’investissement dans l’agriculture et laisser le privé faire ce travail. C’est
à cette période que nous avons vu l’accompagnement des ONG. C’est la période où
l’autonomisation des coopératives devait s’installer. Les ONG devenaient ainsi
les plus grands accompagnateurs des coopératives par rapport aux Etats. Ce processus
était le même dans tous les pays africains. On peut citer comme exemple le
coton et l’arachide au Mali, le café et cacao en Côte d’ivoire, et le coton au Burkina
Faso.
Près
de vingt ans après cet ajustement structurel, ces coopératives africaines ont
des difficultés à être autonomes, à faire une bonne gestion et à augmenter les
revenus du producteur pour que la jeunesse reste dans le métier agricole. Je
pense qu’on n’a pas avec nos partenaires, tiré suffisamment les bonnes leçons de ce passé.
Du
côté des producteurs, l’analphabétisme était notre limite. Cette analphabétisme ne nous permettait pas de
cerner la porté d’une bonne communication dans une structure démocratique, d’analyser
très bien nos comportements pour savoir les risques que nous prenons si nous ne sommes pas s’insèrent
entre nous. C’est ainsi qu’il y a eu des détournements dans plusieurs coopératives
parce que ceux qui savent lire et écrire
étaient en nombre réduit et n’étaient pas tous forcement de bonne moralité.
Tout cela nous a souvent transformé en sauves-souris en urinant sur nous même. Le
résultat final est que la jeunesse s’en va.
Du
côté de nos Etats, le manque de politique agricole autonome adapté à été la limite. Cela a fait
que certains ONG qui étaient des relais de la colonisation où de certains
capitalistes n’ont pas permis l’accompagnement des coopératives dans cette
autonomisation. Bien sûr qu’il y avait des ONG de bonne fois qui se heurtaient
à ces difficultés. A ce niveau le résultat final est que beaucoup d’argent
a été dépensé au nom du milieu rural alors que les ruraux demeurent les plus pauvres
et les plus affamés de nos jours.
Selon
les riziculteurs, l’initiative de leur regroupement est née suite à une grave inondation.
Comme toute la zone était sinistrée, ils se sont dit pourquoi ne pas se regrouper
pour se faire entendre. Dès lors ils
recevaient de la semence mais qui n’était pas souvent de bonne qualité. Cette
situation les a amenés à développer leur
autonomie dans la semence. Ils ont donc commencé par sélectionner parmi eux des
producteurs afin de produire la semence
de base de qualité adaptée à leurs préoccupations. Cette semence de base
produite par ces producteurs semenciers est redistribuée à moindre coût aux
autres membres de la coopérative. Ils reçoivent également de l’Etat de
l’engrais subventionné dont la quantité est insuffisante par rapport à leurs
besoins. Mais ils ont des problèmes pour la commercialisation de ce riz malgré le fait que les sénégalais sont de
grands consommateurs de riz.
Comme
plusieurs coopératives de base étaient
invitées, chaque coopérative à identifier à quel niveau elle est par rapport
aux quatre niveaux d’organisation. Avec les questions que nous les posions, les
représentants de ces coopératives sont arrivés à se rendre compte que certains problèmes
dus au nom respect ou au non adaptation de certaines de leurs règles de
fonctionnement les guettaient. Ils étaient également conscients qu’une coopérative
qui a grandit peut tomber. Pour cela, ils sont entrain de se restructurer pour
la production et la commercialisation du riz verticalement (du sommet à la base)
en se basant sur les membres de la structure qu’ils avaient mise en place lors
de l’inondation.
Nous leur avons dis que c’était bien mais nous avons attiré leur
attention sur le fait que la première structure mise en place après l’inondation était une structure d’ordre
social alors que les coopérative qu’ils
veulent mettre en place pour la production et la commercialisation du riz sont d’ordre
professionnelle. Cela nécessite qu’ils aient de bonnes règles de fonctionnement,
seul chose qui peut les rendre crédibles vis-à-vis de leurs partenaires
banquiers ou commerciaux. Cette crédibilité suppose la mise en commun des différentes
productions en riz des membres pour servir de garantie. Il faut donc que
l’organisation verticale commence par la base. Ne sera membre de ces coopératives que ceux qui seront capables
de respecter scrupuleusement les règles, de livrer leur production. Les membres
de l’équipe dirigeante de ces coopératives doivent donc être de bons producteurs
de riz et de bonne moralité. L’expérience montre que lorsque les dirigeants
sont issus de la base, ils ont une forte capacité de mobiliser les membres à la
base et peuvent mieux défendre les intérêts de l’ensemble.
Pour
le bon fonctionnement de ces structures professionnelles,
ils doivent aussi utiliser les nouvelles méthodes de communication. Dans ce
sens le téléphone portable peut faire beaucoup de choses. Un expert nous a démontré
une manière d’utiliser le téléphone portable qui peut permettre de solutionner
un problème d’encadrement et de commercialisation qui serait un réseau où
toutes les compétences contribuent.
J’ai
également relaté notre manière d’utiliser le téléphone portable en flotte à
l’union national des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB). Nous avons
signé une convention avec une compagnie de téléphonie mobile. Dans cette
convention, nous nous sommes entendus sur un forfait par personne membre de la
structure. Par exemple 5000 FCFA par mois et toute ces personnes peuvent se
parler permanemment toute la journée pendant tout le temps. Cela permet au
producteur à la base de communiquer avec le sommet et du sommet à la base. En une
heure, les producteurs membre de notre structure peuvent être tous informés.
Cette flotte a non seulement permis de réduire nos couts de communication et
également permis à ce qu’on puissent échanger au téléphone pendant longtemps.
Nous
leurs avons dit que les outils de communication modernes sont une opportunité
pour le bon fonctionnement des coopératives.
Les
12 et 13 septembre 2013, nous avons
rencontré les coopératives de la zone de l’arachide. Dans cette zone, tous les
villages ont d’abord créé leurs coopératives de base. Par la suite, entre cinq
et sept villages se sont regroupés pour créer des structures intermédiaires. C’est
ce niveau que les activités sont gérées. A ce niveau ils ont choisi dans chaque
village, de bons producteurs pour se produire de la semence. La semence est
ensuite achetée par la structure et redistribuée aux membres. Dans certaines coopératives
ils ont commencé à avoir des membres qui trahissent et qui ne respectent pas
leurs engagements. L’insuffisance des intrants subventionnés a été également soulignée.
Il faut signaler que ces coopératives sont mixtes (se composent de femmes et d’hommes).
Les présidentes de certaines coopératives sont des femmes. La présidente d’une coopérative
nous a dis qu’ils ont bien fonctionné jusqu’au moment où leur accompagnateur
gestionnaire a détourné plus de deux millions dans leur argent. Cela les a
obligé à assoir tous les villages pour qu’ils décident de sa révocation.
Une
autre coopérative présidée également par une femme avait réussi jusqu’à acquérir
un outil de transformation de l’arachide. Lors de leur année de réussite, ils
avaient transformé près de trois cent tonnes d’arachides. L’huile et le tourteau étaient bien
commercialisés. C’était le sommet de la structure. L’année suivante, un nouvel acquéreur est venu payer l’arachide à un prix
très élevé. Cela a fait que leur coopérative n’a pas pu vendre l’huile issue de
la transformation du peu l’arachide
collecté auprès de ses membres car sa commercialisation n’était pas rentable.
Cette situation a rendu fragile la coopérative. Ils ont également essayé de
faire de la commercialisation collective du maïs. Mais aujourd’hui ils se
confrontent à un problème d’acquéreur et ont en stock près de trois tonnes de maïs dans des magasins.
Une
des coopératives a également commercialisé collectivement du maïs. A leur année
de réussite, ils ont eu du bénéfice. L’utilisation de ce bénéfice a créé un
conflit au sein de la coopérative. Collectivement tous les membres ont constaté
que lorsqu’une coopérative réussie, il y a des opportunistes qui veulent mieux
profiter de cette réussite. La chute de la majorité des coopératives provient de là. Nous les
avons soumis à leur tour au graphique pour que chacun nous dise à quel niveau
du graphique il se trouve. Comme ils ont parlé de leur situation avant le graphique,
c’était une occasion pour eux de savoir leur position sur le graphique.
Vu la sincérité
avec laquelle les producteurs s’étaient exprimés, on pouvait leur prodiguer des
conseils selon leurs difficultés et leur réussite. Par la suite, les mêmes présentations
qui ont été faite par l’expert sénégalais et moi aux autres représentants de coopératives
par rapport aux outils de communication modernes leurs ont été également faites.
Comme j’ai l’habitude de le dire, le téléphone mobile et l’internet, sont les meilleurs
outils de la mondialisation qui sont très utiles pour l’Afrique si on sait les
utiliser. De plus, nous les utilisons au même moment que les pays développés.
Il faut tout simplement qu’on sache adapter leur utilisation au niveau de réussite
auquel nous on veut arriver.
C’est
l’occasion pour moi de remercier EFPRI qui est la structure ayant initiée cette
rencontre. Je souhaite que IFPRI continue dans ce sens parce que les
coopératives qui travaillent avec les producteurs à la base ont besoins de cet
accompagnement. Elles travaillent directement sur les revenus des producteurs.
Les coopératives ne sont pas des structures qui n’ont que des financements extérieurs
à gérer où la justification des dépenses avec papier seulement suffit. Par
ailleurs la remobilisation des producteurs ayant déjà participés à une coopérative
tombée est difficile. Une coopérative est une entreprise où l’agriculteur est
membre selon son produit apporté. Cela pousse chaque membre à suivre la gestion
pour que ses revenus lui reviennent. L’évolution des agriculteurs africains de
la pauvreté au développement passe forcement par
là.
TRAORE B.
François,
www.francoistraore.blogspot.com
Docteur
honoris causa de l’Université de Gembloux
Président
d’honneur de l’AProCA
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