Dans l’histoire traditionnelle du Burkina Faso, chaque
village avait ses règles. Le suivi de la mise en œuvre de ces lois étaient
assuré par les sages du village et les promotions des générations dans le but
d’assurer le bon-vivre ensemble au village. Celui qui violait la loi était jugé
et sanctionné selon la faute qu’il avait commise. Le bon-vivre ensemble dans
ces villages dépendait de la bonne application de ces règles. Au Burkina
moderne, une loi pour règlementer la circulation dans les villes et sur les
routes a été créée. Pour s’assurer que ce code de la route soit bien respecté, l’Etat
burkinabé a une brigade et une police routière qui surveillent permanemment son
application et cela réduit énormément les accidents de circulation. Dans le
domaine du développement rural, les agro-sylvo-pasteurs burkinabé ont également
une loi qui les permet de se mettre ensemble en groupements, en coopératives,
en unions ou même en associations pour résoudre des questions auxquelles ils ne
peuvent pas faire face individuellement (création d’organisation paysannes). Dans
cette loi, ils doivent choisir de bons leaders pour les diriger.
L’Union Nationale des Producteurs de
Coton du Burkina (UNPCB) créée en avril 1998, fait partie de ces organisations.
Le coton est une des rares filières dans laquelle les agriculteurs se sont
organisés de la base, (groupement des producteurs de coton (GPC) au niveau village,
UDPC dans les départements, UPPC dans les provinces) jusqu’au niveau national.
Elle a été soutenue et encouragée par l’Etat et des partenaires dans cette
organisation. Cela lui a permis d’être le vrai interlocuteur de son partenaire
société cotonnière (SOFITEX) à l’époque dirigée par M. Célestin TIENDREBÉOGO. À
sa nomination, il y avait au total six (06) usines d’égrenage du coton. Nous
avons donc entamé une collaboration qui n’existait pas. Cette collaboration a
porté fruit. En effet, nous sommes partis de 11ème producteur de
coton à 1er producteur de coton africain avec une production de 730 000
tonnes. L’augmentation de la production a permis à la société cotonnière d’augmenter
le nombre des usines d’égrenage du coton fibre. La société est partie donc de 6
usines à 22 usines, y compris les usines de délintage. Les huileries sont
parties de trois (03) usines à plus de la cinquantaine, constituées de petites,
de moyennes et de grandes usines car sur 730 000 tonnes de coton-graine égrené,
il y a près de 370 000 tonnes de graines ; il faut se dire que les graines
constituent un pourcentage d’environ 52% sur le coton après égrenage ; ce qui a
créé de la matière première pour les usines d’huilerie qui produisent de
l’huile de consommation et des tourteaux
servant d’aliment-bétail.
Dans le milieu paysan, tout le monde sait
que la valeur 116 000 tonnes de coton et celle 730 000 tonnes ne sont pas les
mêmes. Dans la bonne collaboration avec la SOFITEX, le nombre de producteurs a
augmenté ainsi que leur revenu. Plus de 03 millions de personnes vivant dans le
milieu rural ont donc vu leurs revenus augmenter. Il faut se dire aussi que
toutes les céréales produites au Burkina sont produites à plus de la moitié par
les producteurs de coton. Ce sont principalement le maïs et le sorgho. Cela a
réellement créé des emplois et contribué fortement à maintenir la jeunesse dans
les villages. Les emplois créés qu’ils soient directs ou indirects valent par
usine plus de 1000, ce qui dans le cumule peut aller à plus de 20 000 emplois.
Les transporteurs du coton et les commerçants ont aussi eu leur part qu’on a du
mal à estimer. Le pouvoir d’achat des cotonculteurs ayant évolué, ils
s’achètent désormais auprès des commerçants des tôles, du ciment, des motos, … pour
ne citer que ceux-ci.
A mon avis, la voie de la création
d’emplois n’est que ce cheminement. Les
secrets sont la bonne collaboration et la discipline en appliquant réellement
les règles et en bannissant le mensonge car l’Agriculture est un secteur qui expose très rapidement le
mensonge : on récolte ce qu’on a
semé. J’ai toujours dit que toutes les filières agricoles au Burkina
peuvent et doivent être organisées car le riz importé, la farine de blé pour le
pain, le maïs pour la bière, le lait etc. viennent au Burkina parce qu’il y a
le besoin de consommation, le marché existe. C’est cette place que les plus de
80% de ruraux burkinabé doivent récupérer pour la création des emplois et pour
cela l’Etat burkinabé a un grand rôle d’accompagnement à jouer. Cela ne se fera
pas seulement avec les conférenciers « professionnels » qui
prétendent « connaitre » mais qui ne peuvent pas citer un exemple de
réussi. Les techniciens et les chercheurs doivent plutôt renforcer leur
collaboration avec les pratiquants sur le terrain. En tout cas ceux qui nous
envoi ces denrées alimentaires, c’est sur le terrain qu’ils ont travaillé pour les
produire. Il y a des « savants » qui disent que nous ne devons pas
cultiver des produits à exporter comme le coton. Je ne suis pas du tout de leur
avis. Je ne suis pas un savant mais je n’ai pas non plus besoin d’être un
expert en économie pour savoir que si les camions doivent quitter le Burkina
vides pour aller chercher les produits consommables au port et les amener au
Burkina, on ne pourra jamais se développer. Je suis pour qu’on produise tout ce
qui est adapté à nos terres, les transformer si possible pour nous auto-suffire
ne serait-ce que dans le domaine de l’alimentation et avoir de la matière à
exporter pour que nos camions ne quittent pas le Burkina en étant vides.
La filière coton au Burkina vit actuellement
une crise de management. Je parle en tant qu’ancien Président de l’Union
Nationales des Producteurs de Coton du Burkina (UNPCB) d’avril 1998 au 5
janvier 2010, produisant le coton depuis 1970. L’idée de chercher à redevenir Président
dans cette structure est loin de moi; ma dignité ne me le permet pas car
j’ai démissionné à l’époque. Mais en tant que vétéran de la filière, ayant une
grande famille agricultrice et étant nationaliste, je ne peux pas me taire sur
ce que je vois et ce que j’entends. Ce serait une trahison de ma part. La
mauvaise gestion financière du désormais défunt conseil de gestion de l’UNPCB qui
m’avait succédé, a été exposée pendant plus de 02 ans notamment depuis 2014.
Même ceux qui ne sont pas de la filière ont eu assez de preuves pour se faire une
idée de cette mauvaise gestion sauf ceux qui refusaient de voir. Une des
preuves est que la majorité des partenaires de l’UNPCB ont quitté la structure.
Certains partenaires ont mêmes eu à retirer le reste de leurs financements. A
un moment donné, l’UNPCB avait près de 280 agents pour accompagner les
structures (GPC, UDPC, UPPC) dans la bonne gestion. Malheureusement, sur le
chenin, le rôle de ces agents a été carrément dévié et c’est le contraire que
la plus part de ces agents fait car le défunt conseil n’appréciait que les
techniciens qui aidaient à camoufler la mauvaise gestion. De nos jours, la
confiance s’est effritée entre les structures faitières et la base. La
collaboration entre les sociétés cotonnières et l’UNPCB n’est plus saine et
cela est en train de générer des conséquences graves pour la filière coton. Je
me contenterai de citer quelques indices.
Au lancement de la campagne agricole
2016-2017, l’interprofession cotonnière avait
prévu la production de 800 000 tonnes ; les résultats prévisionnels de la
campagne du ministère de l’agriculture
indiquent les chiffres de 752 490 hectares pour une production de plus de 900 000
tonnes. Dans le mois d’octobre, le secrétaire de l’interprofession a donné le
chiffre de 730 000 hectares ; tout récemment, le Directeur Général (DG) de
la SOFITEX vient de constater la production de la SOFITEX à la baisse. Selon
lui, la production attendue de SOFITEX sera 555 000 tonnes. Moi, en tant que
connaisseur de cette zone cotonnière, selon mes informations, SOFITEX aura moins
que cela car les rendements ont baissé drastiquement. Les problèmes cités par
les producteurs qui expliquent cette baisse, lors des forums de début de
campagne, sont l’arrêt brusque des semences OGM, la mauvaise organisation de la
campagne par la société, l’arrivée tardive des pesticides et leur qualité
douteuse. Quant au problème de la pluviométrie cité par le DG de la SOFITEX,
les producteurs disent que c’est pour cela qu’ils aimaient les OGM car même semé
tard, ceux-ci donnaient vite et bien.
Le 13 janvier 2017, j’ai écouté le Ministre
de l’agriculture qui disait que le Burkina va avoir 750 000 tonnes de coton à
moins que je n’aie pas bien entendu. En écoutant le DG de la SOFITEX qui
parlait de 555 000 tonnes, si le Ministre maintien son chiffre 750 000 tonnes,
cela veut dire que SOCOMA et FASO COTON vont produire près de 200 000 tonnes
pour que le cumule avec SOFITEX fasse 750 000 tonnes. Or dans l’histoire de ces
deux sociétés, elles n’ont jamais pu produire cette quantité. Sur le terrain
dans toutes les zones cotonnières, rares sont les paysans qui ont atteint leur
surface de la campagne passée. On peut donc affirmer avec certitude qu’on
produira moins que la campagne passée vues les difficultés mentionnées
précédemment et les sociétés cotonnières le savent très bien actuellement.
Cette cacophonie dans les chiffres ne rend pas confiants les financiers qui
sont aussi à l’écoute du terrain. Il y a même des huileries qui commencent à se
plaindre parce que la graine n’est pas au rendez-vous. Cela n’a jamais été
ainsi dans les autres années à pareil moment. Par ailleurs, l’endettement dans
les GPC va s’aggraver (beaucoup ne pourront pas rembourser leur crédit). Je
conclu que la situation est assez grave.
Le lundi 9 janvier 2017, le Gouvernement
burkinabé a installé un administrateur au sein de l’UNPCB pour chercher à
résoudre le différend entre les dénonciateurs de la mauvaise gestion et l’ancien
conseil de gestion, avec la supervision d’un représentant de chacun des 02
camps. J’encourage le Ministère dans ce sens car c’est son devoir policier
dans le domaine des organisations paysannes. J’encourage également la vigilance
de l’administrateur pour installer dès maintenant l’idée de la bonne gestion
car ce n’est pas du jour au lendemain que la mauvaise gestion va se ranger. Je
ne souhaite pas que cet administrateur soit badigeonné. Je souhaite qu’il s’en
sorte honorablement. Dans le renouvellement de l’UNPCB, mon souhait est qu’il y
ait de vrais producteurs crédibles à la tête des structures. Cela va relancer
la production cotonnière et peut également servir comme une bonne expérience
pour les autres filières. Quant à la gestion de la SOFITEX, je demande au Gouvernement
burkinabé d’être très vigilant sinon il ne verra que des surprises dans cette
société. Le Gouvernement doit avoir « l’œil sans déchets » sur la
filière coton car elle est le nombril de l’économie dans le milieu où il est
produit. Que Dieu accompagne le Gouvernement burkinabé pour le développement du
milieu rural.
En tant que
vétéran de la filière cotonnière
Ouagadougou, le 15 janvier 2017
TRAORE B. François,
Agriculteur Burkinabé
Docteur
honoris causa de l’Université de Gembloux,
www.francoistraore.blogspot.com
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